Espagne - Les divisions de la "gauche unie", des querelles qui n'ont rien à voir avec les intérêts des travailleurs

Εκτύπωση
Novembre 1997

La coalition Izquierda Unida (Gauche Unie - IU), dirigée par le Parti Communiste d'Espagne (PCE) s'est constituée en 1986 comme un regroupement électoral. Elle réunit autour du PCE des petits groupes issus de différents courants, parmi lesquels figurent le PASOC (Parti d'Action Socialiste formé autour de dissidents du PSOE, le Parti Socialiste espagnol qui était alors au gouvernement), la Gauche Républicaine (une formation qui se réclame du républicanisme bourgeois), divers mouvements pacifistes ou écologistes ainsi que des militants ou des groupes d'extrême gauche dont certains ont eu ou ont encore des liens avec le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale.

Structurée au niveau national comme un ensemble de fédérations territoriales qui ont leurs propres organes de direction et disposent théoriquement d'une relative autonomie, cette coalition traversait depuis plusieurs mois une crise. Les tensions les plus fortes provenaient du conflit qui opposait la direction de IU, et en particulier le secrétaire général du PCE, Julio Anguita, à certaines composantes de la coalition parmi lesquelles figuraient le Parti Démocratique de la Nouvelle Gauche Unie (PDNI) à l'origine duquel se trouvent d'anciens dirigeants rénovateurs du PCE, ou encore la version catalane de Gauche Unie, dénommée Initiative pour la Catalogne.

Le dernier rebondissement de la crise a été provoqué par la décision de la fédération régionale de Galice de IU, appuyée par le PDNI, et d'autres fédérations régionales, de conclure des pactes avec le PSOE pour les élections régionales de Galice. La réponse de la direction nationale de la Gauche Unie a été expéditive. Le PDNI a été exclu. La rupture avec la Fédération de Galice de la Gauche Unie et avec Initiative pour la Catalogne a été décidée, ainsi que la dissolution des organes de direction de deux autres fédérations territoriales.

Indépendamment de l'importance de la rupture, les conflits à l'intérieur de la coalition mettent en évidence le fiasco de la politique que le Parti Communiste d'Espagne mène au travers de Gauche Unie, une politique qui vise à assurer et élargir la représentation du Parti Communiste dans les institutions parlementaires, et à permettre qu'un jour, peut-être, il soit associé au gouvernement, politique qui se situe entièrement dans le cadre de la société bourgeoisie et de ses institutions. Car pour tout ce petit monde des politiciens ou aspirants politiciens "de gauche" qui rêvent d'être admis à la gestion des affaires de la bourgeoisie, c'est le Parti Socialiste, par son poids électoral, qui reste l'objet obligé de leurs attentions, même s'ils essaient de se doter d'une personnalité originale par rapport à lui.

Pour tous les courants qui composent IU, le problème des relations avec le PSOE se pose d'une manière contradictoire. Ils sont directement en compétition avec lui parmi l'électorat de gauche. Et ils savent aussi que dans l'état actuel des rapports de forces, ils n'ont aucune chance d'accéder au gouvernement sans lui. Il n'est donc pas surprenant que les deux fractions de Gauche Unie qui s'affrontent considèrent toutes deux que le "modèle français" est un exemple à suivre. Et le problème qui les divise n'est pas celui de l'objectif mais celui de savoir comment l'atteindre. Le problème des alliances électorales étant rendu plus complexe en Espagne par le fait que le parlement central est doublé par toute une série de parlements régionaux, ceux des différentes entités autonomes qui ont été créées au moment de la transition politique, en 1977-1978.

La compétition pour les voix de gauche

La concurrence entre le PCE et le PSOE se situe toujours dans une perspective politique commune aux deux formations, qui vise à faire croire aux travailleurs qu'ils doivent mettre tous leurs espoirs de changement dans le bulletin de vote. Mais sur ce terrain le PSOE a toujours été gagnant à différents niveaux. Le triomphe électoral du PSOE en 1982 n'a pas seulement porté ce parti au pouvoir. Il est allé de pair avec un effondrement électoral du PCE et a entraîné le fait que beaucoup de dirigeants du PCE, désireux de se placer ou de faire une carrière politique, ont abandonné leur parti pour rentrer dans les rangs socialistes.

Une fois au gouvernement, le PSOE a appliqué une politique visant à faire supporter tout le poids de la crise et de la restructuration industrielle à la classe ouvrière, ce qui a peu à peu contribué à éloigner de lui une partie de son électorat populaire. Cela pouvait être pour le PCE l'occasion de récupérer le terrain perdu. C'est dans ce contexte qu'en 1986 s'était constituée Izquierda Unida. Mais les initiateurs de cette coalition n'ont marqué ni par leurs discours, ni par leurs références, une quelconque volonté de se situer sur le terrain de la lutte de classes. Au contraire, la préoccupation des dirigeants de Gauche Unie a été de donner l'image d'une force suffisamment modérée pour constituer une alternative de gouvernement acceptable pour la bourgeoisie espagnole.

Le mécontentement de secteurs entiers de travailleurs vis-à-vis de la politique des gouvernements socialistes, et vis-à-vis des scandales liés à la corruption dans lesquels trempaient bon nombre de hauts dignitaires du PSOE, a favorisé dans un premier temps une relative augmentation des votes en faveur de IU. Les dirigeants partisans d'un rapprochement plus clair avec le PSOE n'élevaient pas trop la voix à l'intérieur de la coalition.

Lors des dernières élections générales de mars 1996, le discours de la Gauche Unie, et surtout celui de son principal dirigeant, Julio Anguita, reprenait volontiers l'idée qu'il fallait l'emporter électoralement sur le PSOE, occuper son espace politique et se présenter comme une alternative face à la droite représentée par le Parti Populaire. Mais si ce discours tentait de convaincre les militants qu'il existait une possibilité de transformer Gauche Unie en première force de gauche, pour le reste Anguita se contentait comme d'habitude d'expliquer que les problèmes des travailleurs et de la population venaient de ce que la constitution n'était pas appliquée et que les remèdes étaient justement dans la bonne application de la constitution.

Cependant Izquierda Unida n'a progressé que très peu lors de ces élections, et lors des élections régionales d'Andalousie (principal fief de IU) qui ont eu lieu en même temps que les élections générales, IU a même reculé. Au même moment, bien que le PSOE ait été battu par la droite représentée par le Parti Populaire, il a conservé environ 37 % des voix alors que globalement la Gauche Unie n'atteignait que 10 %. IU était loin de dépasser le PSOE. L'électorat ouvrier, dans sa grande majorité, par crainte de voir la droite revenir au gouvernement, avait à nouveau voté majoritairement pour le Parti Socialiste.

Tout comme les résultats de 1982 avaient ouvert une crise dans le Parti Communiste d'alors, les résultats électoraux de 1996 allaient aggraver celle qui couvait au sein de la Gauche Unie depuis des années.

La démission de Felipe Gonzalez et la cause commune de la gauche

Si Anguita parlait de dépasser le Parti Socialiste, ce dernier ne cessait d'insister sur l'idée que le PSOE était la "maison commune de la gauche", essayant de se présenter comme la seule alternative de gauche possible et d'attirer les dirigeants rénovateurs de Izquierda Unida qui cherchaient la meilleure voie pour assurer leur avenir et leur carrière.

Avec le passage du PSOE dans l'opposition et la démission de Felipe Gonzalez de son poste de secrétaire général du PSOE qui suivit, la possibilité d'un rapprochement pouvait paraître se dessiner. L'exemple des élections françaises était abondamment cité par les dirigeants de la Gauche Unie. Le nouveau dirigeant socialiste Almunia corrigea l'expression antérieure de maison commune de la gauche ("casa comun") pour parler de cause commune de la gauche ("causa comun").

Peu après la démission de Gonzalez eut lieu la première rencontre entre Anguita et le nouveau secrétaire général du PSOE pour tenter de réaliser un "front commun face à la politique du gouvernement du Parti Populaire". A l'issue de cette rencontre, le dirigeant de la Gauche Unie parla d'une "nouvelle atmosphère", du "début d'une nouvelle étape", précisant que "l'exemple français était une référence". Mais en même temps l'exécutif du Parti Socialiste conseillait de ne pas généraliser les alliances avec IU. Un ex-ministre socialiste, Borell, affirmait qu'il pensait que c'était une erreur que le PSOE fasse d'Anguita le centre de son dialogue avec IU, précisant que le PSOE "devait offrir un nouveau discours (...) à des gens de sensibilité progressiste qui avaient voté IU parce qu'ils étaient déçus de certains comportements socialistes".

Pour Almunia lui-même, le PSOE devait utiliser "sa propre liberté de choisir ses interlocuteurs dans les différents secteurs qui composent IU". Et passant des paroles aux actes, la branche catalane du Parti Socialiste signa, en août de cette année, un Programme Commun avec Initiative pour la Catalogne (formation qui était membre de IU à l'échelle nationale), tout en maintenant des listes séparées en vue des futures élections en Catalogne. Son projet était de "constituer une nouvelle majorité alternative dans le parlement catalan" face au dirigeant de la droite nationaliste Pujol. Quelques mois auparavant le Parti Socialiste avait signé avec la Gauche Unie de Galice un accord électoral comportant la mise en place de listes communes pour les élections régionales de Galice d'octobre 1997 qui viennent de se dérouler.

Comme on le voit l'enjeu de toutes ces rivalités et de toutes ces manoeuvres était de rechercher les moyens d'attirer à soi l'électorat de la gauche, mais non de réagir contre les attaques que subissent les travailleurs, attaques qui continuent de se multiplier.

Pour la direction nationale de IU (celle du PCE), le problème réside dans le fait que le PSOE veut "consolider un système bipartite" qui cantonnerait le PCE dans une situation marginale. Et pour le moment, la direction du PCE estime avoir besoin de maintenir son identité, d'apparaître comme "une gauche non subordonnée". Pour réaffirmer son propre rôle indépendant, la direction de IU n'a pas hésité à voter certaines lois présentées par le gouvernement de droite. Mais cette politique se situe aussi dans la perspective de réaliser à terme et dans un meilleur rapport de forces, un accord avec le PSOE.

Au-delà des manoeuvres électoralistes, la direction de IU n'a rien de nouveau à offrir à ses militants sauf de "parier sur l'unité avec le centre-droit". Mais n'est-ce pas justement là ce que dit le PSOE ?

Ni le PCE et la majorité d'Izquierda Unida, ni les dissidents de cette coalition, ni le Parti Socialiste, ne misent sur une politique qui viserait à s'attaquer au véritable problème qui se pose à la classe ouvrière : celui des énormes profits que le patronat réalise au prix d'un développement toujours plus important du chômage et de la dégradation des conditions de vie des travailleurs. Ils ne misent pas non plus sur le fait qu'il faut préparer les travailleurs à s'opposer aux attaques du gouvernement et du patronat.

C'est pourtant bien l'important, bien loin des petites querelles qui agitent le monde de ceux qui ont vu dans IU le moyen de réaliser leurs ambitions politiques, ou de ceux qui, parce qu'ils confondent la nécessaire recherche de l'unité de la classe ouvrière dans la lutte avec les combines de politiciens douteux, ont placé leurs espoirs dans ce regroupement purement électoraliste.