France – Après les élections

Εκτύπωση
avril 1992

Faisant suite aux élections qui se sont déroulées fin mars, en France, le président de la République, Mitterrand, a procédé à un remaniement gouvernemental. Il y a eu des changements, mais qui sont restés limités. Un socialiste, Bérégovoy, ministre des Finances dans le précédent gouvernement, a remplacé Édith Cresson, elle aussi socialiste, au poste de Premier ministre. Comme ministres, on a repris souvent les mêmes, en les permutant parfois de fauteuil. Quelques têtes de file socialistes, ceux que l'on appelle les éléphants, ont quitté la galère gouvernementale. La seule innovation a été la nomination de Bernard Tapie, capitaine d'industrie, qui s'est fait une réputation dans la reprise d'entreprises moribondes pour les démanteler ensuite, et qui, devenu une vedette du monde des affaires et du sport - il s'est payé le principal club de football français, l'Olympique de Marseille, mais le sport à ce niveau, cela fait aussi partie du monde des affaires - s'est lancé dans la politique. En apparence, il n'y a donc guère de changement, car la formule choisie par le président de la République est une solution d'attente, dans la perspective des prochaines échéances électorales, les élections législatives qui doivent avoir lieu dans onze mois, précédant elles-mêmes l'élection présidentielle programmée pour 1995. A moins que Mitterrand, qui en a la possibilité institutionnelle, ne bouleverse ce calendrier en dissolvant l'actuelle Assemblée nationale, ou en démissionnant de son mandat.

Cette stabilité gouvernementale ne prend pas en compte les changements qu'ont révélés les scrutins des 22 et 29 mars.

Certes, ces élections régionales et cantonales n'avaient pour but que de renouveler des assemblées locales. Il s'agissait de réélire les conseillers régionaux - il y a 22 régions dans la France métropolitaine - et, pour moitié, les membres des conseils généraux, qui sont des assemblées élues par département, sauf à Paris, dont le statut est particulier.

Ces scrutins ne modifiaient donc pas la représentation nationale. Mais par delà leurs fonctions, ils ont eu un caractère politique nettement prononcé. D'abord, du fait qu'ils ont permis de mesurer l'état de l'opinion, et son évolution. Cela a été, en quelque sorte, un sondage grandeur nature, qui a pris d'autant plus d'importance que, au moins pour les élections régionales, c'était la première consultation d'ampleur nationale depuis trois ans, et qui, de plus, se situait à un an d'élections qui, elles, auront une incidence directe sur la vie politique, au plan national. Tout cela a fait que les enjeux locaux sont passés au second plan. D'ailleurs les partis en lice n'ont même pas fait semblant de mener campagne sur ces problèmes locaux, illustrant par là que leurs préoccupations ne se situaient pas à ce niveau, et que ces élections ne constituaient, pour eux, qu'une étape vers les prochaines échéances électorales - même si, pour un certain nombre de politiciens, les avantages matériels que représente l'accès à la gestion des budgets locaux et les bénéfices de carrière qu'ils peuvent y trouver ne sont pas à dédaigner. A preuve, la multiplication des manœuvres et des embrouilles qui se sont produites lorsqu'il a fallu désigner les présidents des conseils régionaux. Cela a donné lieu à des épisodes ridicules et peu ragoûtants au cours desquels les politiciens se sont montrés tels qu'en eux-mêmes, arrivistes, carriéristes, affichant sans vergogne leurs ambitions. Au demeurant, un spectacle fort édifiant pour les électeurs.

L'effondrement du PS

Le plus marquant dans les résultats de ces élections a été le recul - on peut même parler d'effondrement - des scores du Parti socialiste. Avec à peine 4 100 000 voix, soit 16,42 % des suffrages, selon les chiffres du journal Le Monde (4 468 849 voix et 18,3 % des suffrages exprimés selon ceux du ministère de l'Intérieur1)il atteint ses plus basses eaux depuis 1968, où il avait obtenu 16,5 % des voix, allié aux radicaux. C'était au lendemain des "événements de mai 68".

On est donc loin aujourd'hui, en 1992, des résultats atteints par Mitterrand aux élections présidentielles de 1974,1981 et 1988, où il recueillit respectivement 11 millions et 36 % des suffrages, près de 7 millions 500 000 et 26,9 % des voix sept ans plus tard, et enfin, en 1988,10 millions et 33,9 %. Les scores du PS, dans les mêmes périodes, aux élections législatives, n'atteignaient certes pas ceux de son candidat à la présidentielle, mais s'en approchaient. En 1978, le PS recueillait plus de 7 millions de suffrages (avec le MRG), ce qui représentait près de 25 % des exprimés. En 1981, il recueillait près de 9 500 000 voix, soit 37,51 %. Et en 1986, où pourtant il perdait la majorité au Parlement, il en obtenait encore plus de 8 millions, c'est-à-dire 31 % des suffrages exprimés. Les scores étaient du même ordre aux élections régionales de 1986, puisqu'ils atteignaient presque les 30 %, et plus de 8 millions de voix. Si l'on ne peut ignorer le caractère différent de chaque type de scrutin, la comparaison permet toutefois de mesurer l'évolution de l'opinion.

A dire vrai, l'effondrement électoral subi par le PS aujourd'hui n'est pas une surprise. Il y avait déjà eu nombre de signes annonciateurs. Dans les mois précédant les récents sondages qui prévoyaient ce recul, il y avait eu une série d'élections partielles mettant en lice d'ex-ministres du PS, qui, toutes, montrèrent le discrédit croissant de ce parti. Mais la détérioration de l'influence électorale du PS remonte à plus loin encore. En 1986, le PS avait du céder la place, au Parlement, à une majorité de droite. Ce fut la période dite de "cohabitation", entre un gouvernement de droite dirigé par Chirac, et Mitterrand, président de la République, de "gauche". Et lorsque le PS obtint de nouveau la majorité à l'Assemblée nationale, en 1988, dans la foulée de la réélection de Mitterrand, il n'y disposait - et n'y dispose encore, puisqu'il n'y a pas eu d'élections législatives depuis - que d'une majorité relative. Mais cette lente érosion a pris, aujourd'hui, l'allure d'un écroulement dont il est difficile de nier la réalité.

Les raisons de ce recul ne sont ni nouvelles, ni mystérieuses. Il y a bien sûr les raisons circonstancielles, les scandales notamment. Il y a sans doute le fait qu'une fraction de la petite-bourgeoisie, celle qui votait avant 1981 à droite, retourne à ses choix d'origine, constatant qu'avec la démoralisation et la démobilisation de la classe ouvrière, il n'est peut-être plus besoin de l'anesthésiant que constituait la gauche au pouvoir. Mais c'est une bonne partie de son propre électorat qui a refusé, cette fois, de voter pour le Parti socialiste. Il y a la déception de la partie de la petite-bourgeoisie de gauche désappointée de voir les socialistes tenir le langage de la droite, y compris dans le domaine des idées et des positions morales, qu'il s'agisse des problèmes de l'immigration, sur lesquels les ministres socialistes n'ont pas hésité à prendre des positions à tonalité xénophobe, ou encore de la glorification du dieu profit, de la déesse Bourse. Mais il y a surtout la politique anti-ouvrière des gouvernements socialistes, qui s'est traduite par une baisse du pouvoir d'achat des salariés, conséquence directe du blocage des salaires et de l'accroissement régulier du chômage - ce dernier atteint et dépasse même sans doute aujourd'hui, selon les chiffres officiels, les 3 millions - et qui a provoqué la désaffection de l'électorat populaire. Il y a donc un incontestable et profond phénomène de rejet du pouvoir socialiste dans la population, rejet qui est sans doute plus marqué dans la population laborieuse. Les rares manifestations de satisfaction entendues dans les entreprises au lendemain du scrutin du 22 mars concernaient la gifle donnée au PS.

Ce rejet s'est exprimé, pour une part, dans l'abstention, pour une autre dans le vote protestataire : soit à l'extrême droite, soit pour des candidats écologistes ou même pour des listes qui se disent pour "la défense de la chasse et de la pêche traditionnelles."

Le vote "écologiste", un vote apolitique pour des politiciens en herbe ou chevronnés

Autres indications du dernier scrutin : d'une part, le fait que la participation électorale a été plus forte que celle qui était prévue par les sondages, et plus forte que lors des dernières élections européennes de 1989. En 1989, il y avait eu 51,1 % d'abstentions. Cette fois il n'y en eut que 31,3O %. Mais ce qui est notable d'autre part, c'est que cette participation plus forte n'a pas bénéficié à la droite traditionnelle. Cette droite présentait aux élections régionales des listes communes, ce qui, soit dit en passant, ne l'empêche pas de rester divisée par les ambitions personnelles de ses leaders. En dépit de cet accord, elle n'a pas recueilli les voix perdues par le PS, puisqu'elle aussi voit ses scores reculer par rapport aux scrutins précédents. Moins que le PS, mais très nettement, puisque le déficit est d'au moins 10 %.

La relativement forte participation électorale a, avant tout, bénéficié aux listes écologistes, qui obtiennent au total près de 15 % des suffrages. Les "écologistes" se présentaient en deux courants divisés. D'une part, "les Verts", dont le porte-parole est Antoine Waechter, ancien candidat à l'élection présidentielle de 1988, où il recueillit 3,83 % des voix, et qui ont réellement percé aux élections européennes de 1989, puisqu'à cette occasion ils atteignirent 10,59 %, plus que la liste conduite par l'ex-ministre centriste Simone Veil, et plus que la liste du PCF. Cette branche de l'écologie prétend se situer en-dehors des clivages politiques traditionnels, "ni droite, ni gauche", ce qui, sous des dehors rigoristes, laisse ouvertes toutes les possibilités d'alliances et de combinaisons. Les Verts développent un projet économique anti-productiviste, malthusien, qui, sous prétexte de lutter contre le chômage en proposant la répartition du travail entre tous, vise, en fait, à répartir les effets du chômage sur l'ensemble des salariés. Car il n'est nullement question pour eux de préconiser le partage des profits, ni de remettre en cause la logique de ce même profit comme mécanisme de l'économie.

Le second courant, qui s'intitule "Génération écologie", est apparu très récemment. C'est même une création de circonstance, générée opportunément, non pas à partir du néant, mais à partir du milieu politicien en place, lié souvent au PS, mais aussi parfois à la droite, dont la vocation première est de servir de rampe de lancement aux ambitions de son chef de file, Brice Lalonde. Ce dernier a acquis la notoriété lors d'une élection présidentielle lui aussi, mais celle de 1981 cette fois, où il recueillit 3,91 % des voix, le même score que son rival, mais avec sept ans d'avance. Lalonde a su monnayer son image et ses voix, puisqu'il est devenu ministre de l'Environnement dès 1988, dans le gouvernement Rocard. Lui qui, dans le passé, participait aux expéditions de Greenpeace contre les essais nucléaires français dans le Pacifique s'est transmuté en partisan de ces essais. Ce qui a fait dire à ses rivaux en écologie qu'il avait repeint les centrales nucléaires en vert. Aujourd'hui que le navire gouvernemental dirigé par les socialistes commence à prendre l'eau, il le quitte avec fracas, sans prendre la peine de cacher ses calculs et ses ambitions.

Les deux courants, celui des Verts et celui de Génération écologie se sont partagé 13,9 % des suffrages, pour moitié chacun, avec un petit avantage pour Génération écologie. Nettement plus que le PCF qui obtient 8 % des suffrages, un peu plus que le Front national (13,9 %). Du coup, même s'ils représentent moins du sixième des suffrages exprimés, les écologistes occupent une position charnière, confortée par leur situation centrale sur l'échiquier politique. Il va sans dire qu'ils sont aujourd'hui courtisés avec assiduité, à droite et à gauche, et qu'ils ne cachent pas le plaisir qu'ils éprouvent à se trouver dans cette situation.

Les électeurs qui avaient cru, en votant "écolo", exprimer leur rejet de la politique politicienne n'ont pas eu à attendre longtemps pour constater qu'ils avaient été floués, et que leurs voix vont être utilisées pour servir des ambitions politiciennes. Mais, quel que soit l'usage qu'en feront les élus, le choix fait par une fraction de l'électorat de s'exprimer au travers de listes qui se donnent une image apolitique, a une signification. Pas celle que font semblant de lui donner les commentateurs et les partis traditionnels, qui discutent comme s'il y avait, aujourd'hui, dans l'opinion, une préoccupation plus grande pour la défense de l'environnement. Si cette préoccupation a joué, ce n'est que d'une manière marginale. Les votes écologistes, tout comme ceux pour les listes "Chasse, pêche, nature et tradition", expriment la volonté d'une fraction de l'électorat de marquer ses distances à l'égard de la politique politicienne. C'est un vote de refus, un vote en creux, une sorte d'abstention, en un peu moins passif. Un certain nombre d'électeurs de gauche déçus, plutôt que de s'abstenir, ont sans doute préféré voter écologiste, pour ne pas favoriser indirectement le Front national. Du côté de ces électeurs-là, le vote écologiste exprime peut-être une inquiétude, mais ce n'est pas un signe de prise de conscience.

De façon plus générale, ce rejet de la politique traditionnelle est en même temps l'expression du refus des préoccupations politiques. Il ne faudrait pas se méprendre : il n'y a pas dans ces votes d'indications qui montreraient que la classe ouvrière recommence à vouloir prendre en charge la défense de ses intérêts propres, encore moins l'amorce d'une volonté de cette même classe ouvrière de renouer avec les traditions de la lutte politique, celles de la lutte de classe. Ce serait une illusion de le croire.

Les scores du Front national : importants mais stationnaires

Ne parlons même pas de ceux, parmi les travailleurs, qui ont choisi de se faire entendre en portant leurs suffrages sur le Front national. Il y en a un certain nombre, et parmi eux des électeurs qui votaient auparavant pour les partis de gauche, PS ou PCF, même s'ils ne constituent pas la majorité de l'électorat du FN qui, pour l'essentiel, reste issu de l'électorat de droite. Cela fait des années que le Front national mord sur l'électorat de gauche et trouve des partisans dans les milieux populaires et dans la classe ouvrière. Un peu plus nombreux peut-être, d'élection en élection, mais surtout plus prêts à assumer publiquement leur choix. Cela se voit et s'entend dans les entreprises, où l'on a trouvé plus qu'auparavant - même si cela reste minoritaire - des travailleurs annonçant par avance leur intention de voter pour le FN, et qui ne se sont pas cachés de l'avoir fait, le lendemain du scrutin. Il est bien difficile de mesurer à travers la nébuleuse des chiffres sortis des urnes quelle est réellement la part des voix du FN qui vient de la classe ouvrière, et de quelle fraction de celle-ci, ou encore de connaître l'origine politique de ces voix. Mais même si le phénomène reste encore minoritaire, il n'en est pas moins inquiétant, pour ce qu'il représente aujourd'hui comme glissement dans l'opinion, et en particulier dans l'opinion ouvrière, vers les idées de droite. Cela pèse négativement dans le rapport de forces, en défaveur de la classe ouvrière. Mais c'est inquiétant surtout pour ce que cela peut représenter pour l'avenir, si la crise politique et économique s'approfondissait.

Cela dit, les scores du FN, pour importants qu'ils aient été cette fois encore, restent un peu en-dessous du niveau atteint lors des scrutins précédents. Il obtient 13,9 % des suffrages et 3 396 000 voix, alors qu'à l'élection présidentielle de 1988, Le Pen atteignait 14,39 % des suffrages, ce qui correspondait à 1 million de voix en plus - 4 millions 376 000. C'est moins que ne l'indiquaient les sondages, moins aussi que ne le pronostiquaient Le Pen pour s'en vanter et ses adversaires pour s'en inquiéter. C'est que, de part et d'autre, il y avait des calculs dans cette surenchère. Du côté des partisans de Le Pen, pour essayer de faire croire qu'ils étaient portés par une vague déferlante, et, en face, pour essayer de rameuter les électeurs en agitant Le Pen comme un épouvantail, ce qui avait comme avantage d'occulter leur propre politique et leur propre bilan.

Le PCF se maintient à 8 %

En pendant aux indications fournies par les scores du PS, des écologistes et de l'extrême droite, celles que donnent les résultats du PCF et de l'extrême gauche viennent illustrer la même tendance. Avec 8 % et 1 963 000 voix, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, les résultats obtenus par le PCF sont stationnaires : en légère progression par rapport aux élections européennes de 1989 où le PC faisait 7,7 % des suffrages et 1 million 400 000 voix, une progression un peu plus nette par rapport aux résultats obtenus par Lajoinie à l'élection présidentielle de 1988 (en pourcentage, seulement 6,75 % des suffrages, et un peu plus de 2 millions de voix). Il n'y a donc pas la remontée annoncée par les premiers sondages, ni non plus l'effondrement pronostiqué - et souhaité - par les commentateurs qui n'en finissent pas de prédire la fin du PCF, confondue avec la fin du communisme. On les voit, à chaque fois, s'étonner que survive électoralement ce parti dont ils ne peuvent plus parler sans l'affubler du qualificatif "d'antédiluvien" ou de "préhistorique".

Il reste deux millions d'électeurs qui choisissent de s'exprimer par le vote en faveur du PCF. C'est peu par rapport à ce que le PCF réalisait avant qu'il se soit mis à la remorque du Parti socialiste dans le cadre de "l'Union de la gauche". Cette fraction de son électorat d'antan que le PC avait perdue sur sa droite, en la mettant à la disposition du Parti socialiste, n'est pas revenue au PC. Il est plus difficile de savoir ce qu'est devenue la frange de son électorat que le PCF a perdue sur sa gauche, en cautionnant par sa présence au gouvernement pendant trois ans la politique anti-ouvrière du Parti socialiste. Renforce-t-elle simplement le camp des abstentionnistes, ou bien est-elle revenue un peu vers le PCF depuis qu'il a radicalisé - sur le plan purement verbal - ses critiques du gouvernement ?

Le fait est que les deux millions d'électeurs qui demeurent fidèles au PCF, malgré la pression de la campagne anti-communiste, reflètent l'influence que le PCF conserve dans les milieux populaires et parmi les travailleurs en particulier. Dans le contexte ambiant, et malgré la politique passée, présente et prévisible de la direction du PCF, le vote en faveur de ce parti exprime une protestation à gauche contre le PS et sa politique pro-patronale.

Cela dit, le fait est, aussi, que le nombre des voix qui se portent à gauche s'est réduit dans la période et que, de scrutin en scrutin, il n'augmente pas, malgré la montée des désillusions à l'égard du PS et l'accroissement du mécontentement des classes laborieuses. Ce phénomène constitue l'autre volet de la tendance qu'exprime le récent scrutin : l'évolution de l'opinion, y compris ouvrière, vers les idées conservatrices, et même carrément réactionnaires. Les résultats réalisés par l'extrême gauche vont dans le même sens.

L'extrême gauche se maintient mais à un niveau qui reste faible

L'extrême gauche était présente dans ces élections essentiellement au travers des listes présentées par notre courant. Cette présence était limitée, puisque Lutte ouvrière ne présentait des listes que dans 30 départements sur les 95 qui existent dans l'Hexagone. Une limite due à la faiblesse de nos moyens, au regard de l'effort financier et militant qu'aurait exigé une présence sur l'ensemble du territoire. Il faut signaler, cependant, que les 30 départements où Lutte ouvrière avait des listes regroupent près de la moitié de l'électorat. Les résultats obtenus ne détonnent pas par rapport à la tendance générale. Avec 1,84 % et 215 000 voix recueillies, ils sont comparables en pourcentage à ceux obtenus par Arlette Laguiller à l'élection présidentielle de 1988 dans ces mêmes départements : 1,96 % et 285 000 voix. Ils sont supérieurs à ceux obtenus à l'élection européenne de 1989, qui, rapportés à ces mêmes départements, donnaient pour la liste LO 1,36 % des suffrages et 117 000 voix.

Ces chiffres sont faibles. Ils montrent que, s'il existe un courant qui se reconnaît, sur le plan électoral, dans Lutte ouvrière, ce courant reste très minoritaire. Certes, les seuls moyens dont disposait une petite organisation comme Lutte ouvrière, quasi ignorée par les chaînes de télévision, les radios et la presse nationale, pour faire connaître ses idées et même le fait qu'elle était présente dans cette consultation, étaient ses forces militantes. Il y avait handicap évident si l'on compare avec le traitement dont ont bénéficié les autres listes, y compris celles considérées comme marginales, mais ce n'est pas cela seulement, bien évidemment, qui explique la petitesse du résultat. Si celui-ci est resté réduit, c'est qu'il n'y a pas eu une radicalisation à gauche. Cela étant, il faut constater que les scores de LO se maintiennent, et même augmentent un peu dans une majorité de départements. Et à leur échelle, ces résultats ne sont pas sans signification.

Lutte ouvrière avait choisi de faire campagne pour défendre les idées socialistes et communistes, expliquant qu'une autre organisation de la production et de la distribution que celle qu'offre l'économie de marché serait non seulement plus rationnelle, plus efficace socialement, mais aussi, possible. Dans la situation actuelle, la propagande pour ces idées n'est pas courante, même dans la gauche et l'extrême gauche. Elle en devient d'autant plus nécessaire que les vents dominants ne vont pas dans cette direction. Même si tous les suffrages qui se sont portés sur les listes LO ne signifiaient pas forcément une adhésion complète à ces idées, il n'en reste pas moins qu'ils exprimaient une solidarité avec des militants qui, eux, affichaient clairement ces convictions. Sans en exagérer la signification, ce constat est pour nous encourageant.

Et la situation politique après ces élections ?

L'image fournie par ces consultations quant à l'état de l'opinion - il serait plus juste de dire de l'électorat - a montré que, s'il y en a eu une partie pour refuser sa voix au PS, elle ne l'a pas forcément donnée à la droite classique. L'alternance que voulait mettre en place la Constitution gaulliste de la Ve République ne fonctionne pas comme souhaité. L'éparpillement des voix du côté des écologistes et des listes dites protestataires trouble le jeu. La droite, divisée avant 1981, ne parvient pas à surmonter, dans l'opposition, cette division. Sa position est rendue encore plus difficile par le fait qu'une fraction de son électorat traditionnel est allée grossir les scores du Front national. Le Parti socialiste, miné lui aussi par le choc des ambitions présidentielles, aggravé par la déconfiture qu'il vient de subir, risque l'éclatement en plusieurs regroupements. Chacun mijote la recette de son futur regroupement, tremplin pour les prochaines échéances électorales, et surtout, pour quelques vieux ou jeunes loups, pour l'élection présidentielle. La période qui vient risque d'être fertile en coups tordus, à l'image de ceux que l'on a servis à l'opinion ces dernières semaines.

Reste que l'avenir ne se résume pas forcément au calendrier électoral et aux péripéties politiciennes.

Il faut espérer que la classe ouvrière saura, dans la période qui vient, rappeler qu'elle existe, avec ses revendications propres, et qu'elle saura retrouver le chemin de la lutte politique, sans s'en remettre à des politiciens qui dévoient ses aspirations.

$$n1 Les résultats calculés par le journal Le Monde ne correspondent pas exactement à ceux donnés par le ministère de l'Intérieur, sans que l'on puisse déterminer les raisons de cette différence. Nous avons choisi de prendre en compte, pour ces élections, les chiffres du ministère de l'Intérieur.