France - Petites rivalités et grandes manœuvres électorales

Εκτύπωση
septembre 2005

Ce n'est rien de le dire, mais les élections de 2007 sont déjà au centre des préoccupations de tous les états-majors politiques. L'accident vasculaire cérébral de Chirac a donné un coup d'accélérateur à la compétition entre Sarkozy et Villepin, candidats à l'investiture de l'UMP. Si la remontée de Villepin dans les sondages relance les spéculations de la presse sur qui sera le candidat de la droite -bien que l'appareil de l'UMP et la majorité de ses dignitaires ont manifestement fait le choix de Sarkozy-, il n'y a en revanche aucun suspense sur la politique que la droite entend mener. Villepin se présente en dauphin de Chirac et Sarkozy essaie de se poser en candidat de la rupture. Bien malin est cependant celui qui peut distinguer leurs propositions respectives, à part les petites phrases vachardes envers Chirac distillées dans toutes les interventions de Sarkozy.

Continuer à diminuer l'impôt pour les riches, bien entendu au nom de l'emploi, démolir ce qui, dans le code du travail, protégeait un tant soit peu les travailleurs, réduire le nombre de travailleurs dans le secteur public, afficher une attitude anti-pauvres, multiplier les mouvements de menton sécuritaires : les deux rivaux de la droite semblent jouer à saute-mouton, chacun cherchant à annoncer en premier la mesure réactionnaire que l'autre reprend aussitôt à son compte, de préférence en la poussant plus loin.

L'un comme l'autre s'adressent à l'électorat de droite, à cette bourgeoisie, petite, moyenne ou grande, dont les affaires vont plutôt bien, qui se fait de l'argent, alors que les classes laborieuses s'enfoncent dans les difficultés. La seule différence, peut-être : Sarkozy fait moins mystère que son concurrent du fait qu'il chasse sur le terrain de l'extrême droite en utilisant des phrases dont il sait qu'elles plairont aux réactionnaires les plus bornés et aux plus anti-ouvriers de l'électorat de droite et de l'extrême droite. Sarkozy a pris des leçons chez Le Pen, y compris jusque dans ses "dérapages" tout à fait contrôlés, du genre "nettoyage au karcher" des cités populaires.

Leur rivalité à couteaux tirés et leurs positionnements respectifs différents par rapport à Chirac n'empêchent pas les deux hommes de cohabiter au sein du même gouvernement pour mener la même politique.

À gauche, cette première phase de la campagne électorale consiste en un round d'observation entre les différents aspirants à la candidature du Parti socialiste. Quant aux autres composantes de l'ex- et peut-être future Union de la gauche, le Parti communiste, les Verts, notamment, elles sont dans une prudente expectative par rapport à la guerre de positions à l'intérieur du Parti socialiste. Elles en profitent pour souligner leurs spécificités mais elles savent que, quel que soit le vainqueur de la course à la candidature à l'intérieur du Parti socialiste, il faudra négocier et s'entendre avec lui. Tout en se posant en champions du vote "non" au référendum, les dirigeants du Parti communiste prennent soin de ne pas se couper des chefs de file du vote "oui" au Parti socialiste. Ils ont invité Fabius à la fête de L'Humanité, mais, pour préparer les échéances de 2007, ils s'adressent à "l'ensemble des forces de gauche", les ex-défenseurs du "oui" compris. Façon d'annoncer l'évidence : ils négocieront l'accord électoral avec ceux qui dirigeront le Parti socialiste, que ce soit le clan de Fabius, les amis d'Emmanuelli ou de Mélenchon ou, au contraire, la direction actuelle autour de Hollande ou de Strauss-Kahn.

Il faut reconnaître à la direction du Parti communiste que, dans la logique politique de l'alliance électorale autour -et, lorsque l'heure de gouverner arrivera, derrière- le Parti socialiste, elle est un peu plus cohérente que les vrais et les faux naïfs qui prétendent opposer "deux logiques inconciliables à gauche", entre une gauche "social-libérale" et une gauche qui refuse les inégalités et les injustices. La première étant incarnée par la gauche qui a voté "oui", la seconde, par celle qui a voté "non", comme si les deux anciens ministres de l'Économie du gouvernement Jospin, Fabius, d'un côté, et Strauss-Kahn, de l'autre, incarnaient deux politiques différentes ou "deux logiques inconciliables" !

Le Parti socialiste est dans l'attente de son congrès de novembre 2005. Il est peu vraisemblable qu'il décide à cette occasion qui sera son candidat à l'élection présidentielle. Mais le congrès donnera une idée du rapport de force entre les différents candidats à la candidature, de Fabius à Strauss-Kahn, en passant par Hollande et, qui sait, Jack Lang, Jospin, Aubry ou d'autres.

Du côté du Parti communiste ou des Verts, on insiste sur l'importance du programme par-delà les hommes. Mais c'est doublement hypocrite.

D'abord, parce qu'il est manifeste que le Parti socialiste n'a nullement l'intention de s'engager sur un programme précis ou sur des promesses trop concrètes (pas même celle de supprimer toutes les mesures réactionnaires du gouvernement en place). Si la sourde lutte entre les candidats potentiels du Parti socialiste ressemble à du sur-place, où chacun attend que l'autre se découvre, si la seule ligne de partage politique se limite au positionnement entre le "oui" et le "non" au référendum sur l'Europe, ce n'est pas pour rien !

Quel que soit, en bout de course, son candidat pour la présidentielle, le Parti socialiste compte sur le fait que la droite fera la campagne à sa place et que son meilleur argument sera fourni par toutes les mesures du gouvernement amenant l'électorat populaire à la conviction qu'avec la gauche, cela pourrait être tout de même moins pire qu'avec la droite.

Mais l'attitude du Parti communiste ou des Verts est hypocrite à un autre niveau encore. Ils ont certes un problème par rapport à l'élection présidentielle. Mais ce problème est sans rapport avec le programme -ou, plus exactement, l'absence de programme- des candidats socialistes à la candidature. Leur problème est tactique.

Présenter autant de candidats qu'il y a de partis aspirant à gouverner ensemble, c'est prendre le risque de rééditer le précédent de 2002 où c'est la multiplication des candidatures se réclamant, toutes, de l'Union de la gauche qui a empêché Jospin d'être présent au deuxième tour. C'est aussi prendre le risque qu'une partie de l'électorat du Parti communiste ou des Verts vote, par précaution, dès le premier tour pour le candidat socialiste.

Quels que soient cependant leurs calculs pour la présidentielle, aussi bien le Parti communiste que les Verts chercheront l'alliance avec le Parti socialiste pour les élections législatives.

Alors que le Parti socialiste, déchiré par des rivalités de chefs, a du mal pour le moment à se poser en "rassembleur de la gauche", c'est la direction du Parti communiste qui occupe ce terrain. Ce faisant, elle fait quand même le travail pour le Parti socialiste, fut-ce pour le moment avec un langage sinon plus radical, du moins plus sensible aux problèmes des travailleurs.

"Gagner en 2007 sur un programme qui rompt avec toutes les politiques sociales libérales", a affirmé Marie-George Buffet à la fête de L'Humanité. Mais qui sera le candidat de cette rupture avec les "politiques sociales libérales" ? Fabius ? Strauss-Kahn ? Ou le revenant Jospin, pour le moment non candidat mais que les sondages considèrent comme le plus populaire des candidats à la candidature parmi les électeurs socialistes ?

Tant que le Parti socialiste n'a pas choisi son candidat, Marie-George Buffet peut se poser en artisan de "l'Union populaire" sans en assumer l'absence de contenu politique.

Mais Marie-George Buffet elle-même se garde bien de profiter du silence des socialistes pour tenter de donner un contenu à ce fameux programme qui "rompt avec toutes les politiques sociales libérales". Elle ne dit pas, par exemple, que, pour avoir le soutien du Parti communiste, le candidat socialiste devra s'engager clairement à supprimer toutes les mesures anti-ouvrières des gouvernements Raffarin et Villepin.

Non, la direction du Parti communiste se réfugie derrière la base, derrière "les citoyens et les citoyennes", en affirmant : "Il y a urgence pour les forces de gauche de se rencontrer. Pas simplement entre elles autour d'une table, parce qu'on ne notera alors que les différences, mais toutes les forces de gauche avec les citoyens et les citoyennes pour dire : qu'est-ce que vous proposez, quelles réformes vous voulez mettre en œuvre, par exemple, quel engagement prend la gauche par rapport au logement... ?".

Mais quel est donc l'engagement que les dirigeants du Parti communiste comptent exiger de leur futur partenaire ?

Cela devient une habitude du côté du Parti communiste : comme il ne veut pas gêner le futur candidat du Parti socialiste, derrière lequel il souhaite s'aligner, il se réfugie derrière la "démocratie des citoyens et des citoyennes" censés débattre de la politique de la future alliance de la gauche. On se souvient encore des forums organisés par le Parti communiste avant les élections législatives de 1997, où les participants étaient censés débattre de leurs aspirations. Les travailleurs ont surtout des raisons de se souvenir que toute cette comédie pseudo démocratique n'a abouti qu'à ce que les ministres communistes, dont Marie-George Buffet, ont exécuté avec discipline la politique anti-ouvrière de Jospin.

La direction du Parti communiste se propose de prolonger la dynamique de la campagne pour le "non" au référendum sur la Constitution européenne.

Lors de la fête de L'Humanité, Marie-George Buffet s'est envolée dans un dithyrambe : "Ensemble, nous avons infligé un sérieux revers à la droite et à tous les tenants de l'ordre établi ! Ensemble, nous avons refait de la politique la propriété du peuple ! Oui, le 29 mai dernier, le peuple a pris la main ! Vous avez pris la parole, gardez-la ! Ne vous laissez pas voler votre victoire, gardez-la pour chasser la droite ! Gardez-la pour qu'enfin la politique change votre vie ! Face à la mondialisation capitaliste, gardez la parole !". Rien que ça ! ! !

À en juger par l'attitude du gouvernement, ni la droite et encore moins les tenants de l'ordre établi n'ont l'air de trembler. Il faut croire qu'il n'y a vraiment pas de quoi !

Tant mieux que le "non" l'ait emporté car ni le contenu du projet de Constitution, ni ceux qui l'avaient proposé ne méritaient l'approbation de l'électorat populaire. Cela dit, présenter la victoire du "non" comme l'expression du désaveu populaire, voire, comme le disent certains, comme "un vote de classe", est de l'escroquerie. S'il est à peu près certain que la grande majorité du vote "non" venait de l'électorat de gauche qui a ainsi exprimé, entre autres, tout le mal qu'il pensait de la politique de Chirac-Raffarin, il est faux d'extrapoler à partir de là pour affirmer que la totalité des "non" venait uniquement de la gauche.

C'est une chose de constater que la majorité des votes "non" venait de la gauche. Cela en est une autre d'annexer à la gauche tous les votes "non", même ceux qui venaient de l'extrême droite, pour prétendre qu'il y a donc une majorité... "pour chasser la droite".

Le "non" l'a emporté à 54,67% des voix. L'électorat de Le Pen, Villiers, Pasqua et autre Dupont-Aignant représente tout de même un peu plus que les quelque 5% qui ont permis au vote "non" de dépasser les 50% !

Que Villiers, dans sa déclaration de candidature, s'annexe tous les votes "non" et jure, la main sur le cœur, qu'il sera dans la présidentielle le porte-parole de tous ceux qui ont voté "non", c'est seulement ridicule. Mais que le Parti communiste et nombre de ceux qui, à gauche, ont fait voter "non" comptabilisent les votes "non" de la droite xénophobe et de l'extrême droite comme des éléments du rapport de force contre les "tenants de l'ordre établi", c'est mentir aux travailleurs, c'est leur faire prendre des vessies pour des lanternes.

Et la direction du Parti communiste ment sur ce passé récent pour mieux dissimuler l'avenir. Les grands mots sur "la grande bataille du référendum", les exhortations du genre "faisons le monde ensemble" -toujours en citant Marie-George Buffet à la fête de L'Humanité- ne sont que la présentation actualisée d'une politique qui s'est révélée néfaste pour le Parti communiste lui-même, pour son rayonnement, et surtout catastrophique pour l'ensemble des travailleurs.

Si, d'aventure, Fabius, ou un de ses semblables, était élu en 2007, président de la République, si les élections législatives portaient au gouvernement une nouvelle coalition de gauche, ce gouvernement mènerait une politique de gestion loyale des affaires de la bourgeoisie. Cela s'est toujours passé ainsi depuis des décennies.

Et si, comme c'est le plus vraisemblable, le candidat socialiste échoue, on expliquera que c'est parce que les électeurs n'ont pas compris ou que l'électorat de gauche ne s'est pas assez mobilisé, et qu'il vaut mieux remettre ça cinq ans plus tard, en 2012. Et, pendant ce temps, la classe ouvrière n'a qu'à se résigner à encaisser les coups.

Il n'y a aucune, mais absolument aucune perspective pour les travailleurs dans l'alliance électorale que le Parti communiste prépare. Pas plus que dans toutes les tentatives concurrentes déjà lancées ou encore à venir, prétendant "rassembler" électoralement la gauche sous d'autres bannières, celle d'un José Bové notamment. Même si le gouvernement est de gauche, l'expérience de tant d'années sous Mitterrand, Mauroy, Fabius, Cresson, Bérégogoy, Rocard, Jospin, a montré que les dirigeants du Parti socialiste n'ont ni la volonté ni la capacité d'affronter ces puissances d'argent qu'il arrive de temps à autre à certains de leurs leaders de mettre verbalement en cause.

La classe capitaliste qui dispose des usines, des banques, de toutes les richesses, a tous les pouvoirs sur la société. Elle a le pouvoir de faire et défaire les ministres et les présidents de la République qui, de toute façon, sont sélectionnés pour servir ses intérêts. Sa mainmise sur l'économie lui donne le pouvoir de décider de la vie économique, et donc de la vie tout court, d'une ville, d'une région, d'un pays. Faire croire que la couleur politique d'un gouvernement ou sa composition lui donne les moyens et la volonté de s'opposer à la grande bourgeoisie, aux grands trusts, c'est affaiblir et désarmer la seule force sociale qui a réellement la capacité d'opposer à la puissance de l'argent une autre puissance. On ne peut contrebalancer et faire reculer le grand capital que par la force collective des travailleurs mobilisés, non pas lors de journées d'action ponctuelles et sans lendemain, mais dans une mobilisation radicale, massive, consciente. Même un gouvernement de gauche ne ferait des pas dans un sens favorable aux travailleurs que soumis à cette pression-là. Et si cette pression est là, elle a la capacité d'imposer même à un gouvernement de droite des mesures indispensables aux travailleurs.

Face à la perspective d'alliances électorales derrière des hommes politiques de "gauche" au service de la bourgeoisie, la seule perspective qui vaille pour les travailleurs est celle de leur mobilisation afin qu'ils interviennent dans la vie politique et qu'ils se servent de leur force collective pour imposer au patronat et au gouvernement les mesures indispensables pour changer leur vie.

16 septembre 2005