États-Unis
La victoire de Trump, ce fieffé réactionnaire, ne devrait surprendre personne. Hillary Clinton a fait campagne en promettant « de poursuivre les progrès réalisés par Obama ». Mais quels progrès, et pour qui ? Depuis huit ans, les richesses se sont considérablement accrues mais 95 % d’entre elles ont profité à la classe capitaliste et aux autres couches les plus privilégiées. Clinton s’est vantée que le taux de chômage officiel avait baissé, mais la proportion de la population en âge de travailler qui a un emploi est plus faible qu’à l’arrivée d’Obama. Et les emplois que les chômeurs ont trouvés étaient des emplois à temps partiel, des emplois intérimaires ou des emplois très mal payés. Obama a poursuivi les efforts de Bush pour démanteler les écoles publiques, indispensables aux enfants des classes populaires. Obama a expulsé plus d’immigrés que Bush. Obama a mené les guerres commencées par Bush et il en a déclenché d’autres. Les jeunes qui ne trouvent pas de travail continuent à atterrir en prison ou à se faire tuer dans les rues. Les démocrates, qui n’ont fait que promettre une nouvelle assiette du même plat, ont ouvert grand la porte à Trump.
Trump a déclaré : « ça ne va pas », et beaucoup de travailleurs ont voté pour lui. La plupart des travailleurs qui ont voté pour Trump sont peut-être blancs, mais ce ne sont pas les seuls. Près d’un tiers des hispaniques ont voté pour lui. Les travailleurs noirs ont été plus méfiants, mais une grande partie d’entre eux n’ont pas voté. Ce qui a le plus touché les travailleurs, ce sont les promesses qu’il a faites sur les emplois, et il en a été prodigue. Beaucoup, si ce n’est la majorité, de ceux qui ont voté pour Trump ne sont pas vraiment d’accord avec son racisme affiché, sa xénophobie et sa misogynie. Mais ils ont pensé pouvoir faire avec. La réalité, c’est que cela les a marqués. Et les antagonismes que Trump a exacerbés pendant la campagne ne sont pas près de disparaître.
Voilà encore une conséquence du fait qu’il n’existe pas aux États-Unis de parti de la classe ouvrière, reconnu comme tel, et qu’il n’y en a plus depuis près d’un siècle. Un démagogue bigot, vomissant une sorte de nationalisme populiste, a semé des graines empoisonnées au sein de la classe ouvrière. (…) Telle est la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés cette année.
Après avoir présenté, en 2014, des candidats individuels, sans l’étiquette d’un parti, nous avons pensé qu’il serait utile de se présenter en tant que parti, et de défendre concrètement l’idée que la classe ouvrière a besoin de son propre parti. Des travailleurs en relation avec The Spark ont milité pour présenter aux élections dans le Michigan un nouveau parti du nom de Working Class Party (Parti de la classe ouvrière).
Mais pour pouvoir se présenter en tant que parti aux élections dans cet État, il faut obtenir près de 31 000 signatures de personnes inscrites sur les listes électorales dans le Michigan, qui affirment vouloir ce parti et inscrivent leur nom et adresse. (…) Nous avons décidé d’essayer, et estimé que même si nous ne réussissions pas, nous aurions défendu une idée importante.
De la mi-janvier à la mi-juillet, nous avons été dans la rue pour demander aux gens leur signature. Bien sûr, nous avons demandé aux gens autour de nous de signer, ainsi que de faire signer autour d’eux ; à nos collègues de travail, nos familles, nos amis ; aux serveurs des bars et des restaurants que nous fréquentons régulièrement. Certains d’entre nous ont demandé aux employés du pressing, à leur coiffeur, et même à leur dentiste. Mais ce n’était pas assez, pas du tout.
Dans la rue, nous avons parfois commencé par un long discours. Mais assez vite, nous avons compris que le plus simple était le plus efficace : « Nous avons besoin de votre signature pour qu’un parti de la classe ouvrière puisse se présenter aux élections. » Dans certains cas, cela entraînait une longue discussion. Mais, très vite, les gens ordinaires étaient prêts à signer. « La classe ouvrière a besoin de son propre parti, nous n’en n’avons pas. » Cette simple phrase provoquait une réponse dans les quartiers populaires. Dans des lieux comme Ann Arbor, une ville prospère organisée autour de l’une des grandes universités, beaucoup moins de personnes étaient prêtes à signer, et un bon nombre nous ont dit ouvertement qu’ils n’étaient pas d’accord. Parfois des responsables syndicaux argumentaient que nous avions tort, car nous allions prendre des voix aux démocrates.
Mais quelques personnes, rencontrées lors d’activités militantes, ont pris une pétition et nous l’ont rapportée avec des signatures. De plus rares personnes sont restées pour faire signer, à côté de nous, pendant quelques minutes. Et quelques juges amicaux nous ont conseillé des endroits où aller car eux aussi collectaient des signatures pour pouvoir se présenter[1].
Il semble que nous soyons allés presque partout : à un festival de la fraise organisé par une Église, à un feu d’artifice organisé par la municipalité, sur des marchés populaires. Nous sommes allés à un défilé du 4-Juillet, où les gens qui attendaient discutaient avec nous, signaient la pétition et ramenaient d’autres personnes pour signer. Nous nous sommes mis devant des tribunaux où les gens viennent payer leurs amendes, devant des bâtiments officiels où les gens viennent chercher leur permis de conduire et leur carte grise, des personnes nouvelles chaque semaine. Et comme il y a eu partout des suppressions de personnel, les files d’attente étaient souvent très longues, les gens étaient en colère et prêts à discuter. Nous sommes allés devant les entreprises si elles avaient une entrée donnant sur la rue. Légalement, il fallait rester sur l’espace public. (…) Dans les petites villes, loin des grandes cités, nous avons fait du porte-à-porte.
Au début, certains d’entre nous ont pu penser que la récolte des signatures était une dépense d’énergie obligatoire, dont il fallait se débarrasser au plus vite pour faire « la vraie campagne ». Mais très vite, il est apparu que ces six premiers mois pouvaient bien être le cœur même de la campagne. La récolte des signatures a été l’occasion de soulever un problème qui s’est révélé évident lors de la campagne présidentielle de cette année, à savoir que personne ne parle des problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée, de son propre point de vue de classe. Et à partir de ce que les gens nous répondaient, nous comprenions que l’idée que la classe ouvrière devait avoir son propre parti semblait totalement évidente, même si peut-être pas immédiatement réalisable.
Nous portions des badges rouges Working Class Party. Nous les avons ensuite portés en permanence, suscitant ainsi des discussions et des signatures, même quand nous n’en cherchions pas. (…) Oui, nous avons fait des efforts pour récolter ces signatures, mais finalement nous les avons obtenues parce que l’idée d’un parti de la classe ouvrière a touché les gens. Nous exprimions le désir, ressenti par beaucoup de travailleurs, d’avoir leur propre parti.
Au même moment, à Baltimore dans le Maryland, notre camarade David Harding s’est présenté aux élections comme conseiller municipal, et a obtenu 500 signatures et 8,3 % des voix.
Dans le Michigan, nous avons dû attendre six semaines pour savoir si nos pétitions étaient acceptées. Mais nous avions du travail. Nous avons organisé une convention pour choisir nos candidats. Il s’agit d’une obligation légale, mais cela nous a servi à réunir les gens qui avaient participé à la collecte des signatures et la plupart d’entre eux sont venus. Nous y avons aussi défini nos axes de campagne, en affirmant clairement qu’ils étaient basés sur la campagne de 2014.
Les candidats du Working Class Party se sont exprimés lors de la fête annuelle de Spark sur les idées que nous mettrons en avant dans la campagne, et d’abord la nécessité pour la classe ouvrière d’être organisée politiquement.
Lorsque les autorités ont annoncé le 22 août que le Working Class Party était autorisé à présenter des candidats, elles remarquèrent aussi nos cinquante mille signatures. Ce nombre suscita un intérêt, et nous a permis d’avoir une interview bienveillante sur une radio qui émet sur tout l’État – ce fut l’une des seules. Finalement cette unique interview a convaincu trois personnes de faire campagne, dans des endroits où nous n’existons pas. L’une d’entre elles s’est arrangée pour que notre candidate participe à un forum à Battle Creek. Ce forum fut retransmis ensuite sur une chaîne de télévision locale et nous l’avons également posté sur notre site Internet.
L’annonce des autorités a été reproduite dans quelques journaux locaux de petites villes où nous ne connaissons personne. Ils y ont ajouté des informations glanées sur le site et ont écrit des articles favorables à ce parti nouveau aux élections. Nous ne savons pas s’il y en a eu d’autres, car nous n’avons appris l’existence de ces articles qu’à la fin octobre alors qu’ils furent écrits en août.
Les grands médias nous ont ignorés. Ce que nous avons obtenu le fut grâce à notre milieu. Un vieux copain d’école d’une connaissance de Detroit nous a interviewés sur une radio publique avec cette annonce : « Cent ans après, un parti de la classe ouvrière émerge. » C’est plus que grandiose par rapport à ce que nous sommes, car cela faisait référence à Eugene Debs, militant révolutionnaire socialiste et candidat à l’élection présidentielle entre 1900 et 1920, mais cela exprimait un sentiment parmi les travailleurs, à savoir que leur classe avait été exclue de la scène politique.
Pendant les neuf semaines de la campagne officielle, nous sommes allés dans le même genre d’endroits que durant la collecte de signatures. Nous avions alors des tracts, avec la photo des candidats et une simple déclaration que la classe capitaliste, dans sa quête de profits, avait volé les richesses dont l’ensemble de la société a besoin et que la classe ouvrière doit reprendre ; que la classe ouvrière a la capacité et le pouvoir, quand elle se mobilise, de répondre à tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous insistions sur l’idée que nous avons besoin de toutes nos forces pour lutter, nous ne pouvons pas laisser les politiciens nous diviser. Nous avons dit que les élections ne peuvent pas changer notre situation, mais qu’on peut les utiliser pour montrer que nous en avons assez des deux partis ; que nous voulons notre propre parti, un parti qui exprime nos intérêts de classe, séparés et distincts des deux autres classes.
Nous donnions des cartons qui pouvaient servir de pense-bêtes avec le nom des candidats, leur photo, un appel à voter pour eux et l’affirmation que la classe ouvrière a besoin de son propre parti. (…)
Pour finir, quelques mots sur nos résultats. Des camarades de LO ici nous ont dit avoir été surpris du nombre de votes que nous avons obtenus. Nous espérions 35 000 voix, largement assez pour garder le droit de nous présenter à nouveau. Au final, Mary Anne Hering, notre candidate pour tout l’État, a obtenu presque 225 000 voix, plus que n’importe lequel des candidats des quatre autres petits partis qui se présentaient à cette élection comme depuis des décennies. Près de 40 % de nos voix viennent des quatre grands comtés entourant Detroit, 40 % encore de seize autres comtés, la plupart urbanisés, où nous avons fait campagne. Mais les 20 % restants viennent des 63 autres comtés où nous ne sommes jamais allés, où nous ne connaissons personne. En fait c’est dans ces petits comtés que Mary Anne a obtenu ses meilleurs pourcentages, plus de 4 %, même si cela ne fait pas beaucoup de voix. Ce sont des comtés semi-ruraux où de petites usines ont fermé, dont presque tous les habitants sont très pauvres. Ils ont voté pour le seul nom du parti.
Les résultats de Gary Walkowicz et de Sam Johnson, dont le bulletin de vote portait le nom du Working Class Party sous le leur, sont aussi significatifs. Sam a plus que doublé son score de la dernière fois. Dans quelques villes ouvrières proches de Detroit et incluses dans sa circonscription, il a obtenu jusqu’à 6,5 %. Mais Gary a obtenu moins de 1 % dans la partie de sa circonscription qui comprend « Ann Arbor la prospère », empêchant son total de rejoindre celui de Sam, bien que Gary ait presque doublé son nombre de voix.
Il est clair que nous avons eu des votes de travailleurs qui, à la présidentielle, ont par ailleurs voté Clinton par peur de Trump. Mais nous avons eu aussi les votes de travailleurs qui ont voté pour Trump car ils en ont assez, et parce que Trump leur paraissait en dehors du système. Il semble qu’une partie de nos voix viennent de travailleurs qui en ont tout simplement assez, et qui cherchent une façon de l’exprimer.
Mais certains électeurs ont voté seulement pour nous. Dans le Michigan, il est possible de voter simplement pour un parti, sans mention des candidats individuels. Alors que ce vote n’est pas partout comptabilisé, le Working Class Party a eu quinze mille voix.
Le Working Class Party n’est peut-être qu’un parti électoral, une case sur un bulletin de vote, mais les votes prouvent qu’une partie de la classe ouvrière veut avoir sa propre organisation politique, basée sur ses intérêts de classe, même aux États-Unis.
Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)
Au début de l’année, nous avions parlé de la politique hypocrite pour l’Outre-mer du gouvernement Hollande, dite d’égalité réelle. Un projet de loi a depuis été voté. (…) Soixante-dix ans après la loi qui faisait passer les Antilles, la Guyane et la Réunion de colonies à départements français, c’est toujours le même subterfuge : bercer la population d’illusions et d’espoirs en lui faisant croire à l’égalité totale des droits avec la métropole. Il faut croire qu’on a droit à une égalité nouvelle tous les soixante-dix ans !
En 1946 on nous parlait d’égalité tout court, en 2016, on nous parle d’égalité réelle. En 2046, on nous parlera peut-être d’égalité totale ; et en 2116, d’égalité parfaite ?
La loi d’égalité réelle nous propose-t-elle de faire passer le chômage aux Antilles de 30 % à 10 % comme en France ? Non. C’est pourtant bien la plus importante discrimination sociale qui existe entre l’Outre-mer et la métropole. On nous parle de continuité territoriale, de nous faire obtenir des billets d’avion à prix réduits pour nous rendre aux funérailles d’un proche, d’aider les étudiants à obtenir des billets à prix réduits. Mais cela existe déjà. Bref on nous abuse avec des petits hochets. Car le but réel de la loi sur l’égalité réelle se trouve dans les 35 recommandations de Victorin Lurel, l’ex-ministre des Outre-mer, très proche de Hollande.
Le but, à plus ou moins long terme, est de supprimer les primes de vie chère : les 40 % des fonctionnaires, et les autres primes de 40 % à 15 % de vie chère que perçoivent certaines catégories de travailleurs du privé ; c’est de supprimer l’abattement fiscal de 30 % aux Antilles, de créer un smic régional, c’est-à-dire plus bas, d’augmenter les taxes d’octroi de mer qui renchériront le coût de la vie. Voilà ce qu’il y a, entre autres, derrière la loi sur l’égalité réelle : renforcer les inégalités. Si ce n’est pas les renforcer entre les DOM et la métropole, ce sera les creuser entre les classes sociales privilégiées et l’ensemble des travailleurs et des pauvres.
Le budget des Outre-mer de 2017 va tout à fait dans ce sens. Il est surtout axé sur les mesures en faveur du patronat. Le poste le plus important de ce budget reste celui des exonérations de cotisations sociales patronales, pour 1,033 milliard d’euros. Ainsi, plus de la moitié du budget des Outre-mer consiste en cadeaux au patronat. Le gouvernement a également validé le maintien des abattements applicables aux entreprises dans les zones franches d’activité. Cinq millions d’euros de fiscalités locales ne seront pas prélevés auprès des entreprises en 2017. (…)
Les dirigeants des assemblées locales en Guadeloupe et en Martinique relaient toute cette politique.
En Guadeloupe, le changement de présidence au conseil régional n’a été que de pure forme, même s’il a été un échec pour les socialistes hollandais. Le nouveau président, avec dans son sillage un conglomérat formé d’un peu de droite, d’un peu de gauche et d’un notable indépendantiste, n’a rien fait de mieux ni de pire que le précédent.
En Martinique, la nouvelle assemblée unique, la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) aura bientôt un an d’existence. La majorité des élus de cette collectivité est constituée par ceux qui s’appellent « le camp des patriotes », c’est-à-dire des indépendantistes du Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM), le Parti communiste martiniquais et d’autres petites formations. Les indépendantistes sont alliés dans cette collectivité à une partie de la droite, Les Républicains. Le patron de ces républicains, Yann Monplaisir, est un des plus importants capitalistes de Martinique.
Voilà la collectivité que les indépendantistes et l’écrivain Raphaël Confiant, leur scribe de service, qualifient d’historique. Mais elle n’est qu’une assemblée de gestionnaires de plus, dont la raison d’être est la volonté politique du gouvernement français d’un aménagement politico-administratif de l’impérialisme français dans ses Outre-mer.
Et là encore, cette collectivité, bien que qualifiée de martiniquaise, ne fait ni mieux ni pire que les précédentes (conseil régional et conseil général) dans lesquelles le Parti progressiste martiniquais de feu Aimé Césaire était majoritaire (le PPM se trouve aujourd’hui dans l’opposition). Il n’y a aucun changement véritable.
L’attitude des dirigeants indépendantistes de la CTM à l’égard des travailleurs dans la première année de leur mandat est celle de n’importe quel notable de droite ou de gauche. Elle est caractérisée par le mépris envers eux. Un exemple : les nouveaux dirigeants ont décidé de ne pas renouveler des dizaines de contrats des agents de la collectivité, ce qui a motivé la grève et les actions de protestation de ces agents territoriaux en avril dernier. Les dirigeants de la CTM ont alors organisé avec leurs troupes une manifestation antigrévistes menaçante et musclée, traitant ces derniers d’agents de l’ancienne équipe. Mais face à la détermination des grévistes ils ont finalement accepté de prolonger les contrats jusqu’au 31 décembre. Le sort de plus de 100 agents reste donc en suspens.
Ce qui a surtout choqué les travailleurs de la CTM, c’est le mépris avec lequel les nouveaux notables les ont traités. Dans le cas de l’Afpa, l’Association de formation professionnelle pour adultes, si la précédente assemblée régionale avait déjà réduit fortement ses subventions, la mise à mort fut exécutée par la CTM ; l’Afpa a été liquidée et 130 salariés se retrouvent sans emploi.
Dans son budget de 2017, pour faire face à la baisse des dotations de l’État, la CTM a décidé de majorer les impôts indirects, particulièrement injustes : taxe sur les carburants et octroi de mer. Mais taxer les fortunes des riches békés, il n’en est pas question. On le comprend : le deuxième pilier de la CTM n’est autre qu’un gros capitaliste local.
Plus réconfortantes sont les luttes des travailleurs qui ont eu lieu depuis mars dernier dans les deux îles. Il n’y a pas eu de luttes offensives, d’envergure et générales, mais une longue série de grèves d’importance inégale. On peut compter en Martinique et en Guadeloupe pas moins d’une vingtaine de grèves de février à novembre dans chaque île. Il faut noter cette année plusieurs mobilisations des travailleurs agricoles sur les habitations bananières.
Quant aux manifestations contre la loi travail, elles ont été plus nombreuses en Martinique qu’en Guadeloupe, mais sont restées dans l’ensemble plus limitées qu’en France. Cependant, il est remarquable qu’on retrouve dans les luttes et dans les grèves toujours une petite minorité de travailleurs combatifs, qui ne lâchent rien et qui gagnent. Les grèves et mobilisations furent extrêmement minoritaires, à l’échelle du pays, mais souvent aussi à l’échelle de l’entreprise. Mais à chaque fois, la ténacité de ces minorités de travailleurs grévistes fut remarquable.
Parfois la victoire fut totale, parfois partielle. Mais dans tous les cas, les travailleurs ont pu obtenir des gains matériels. Quant au gain moral, il est évident. Dans la série des grèves, qu’il serait trop long de citer, on peut retenir particulièrement celles de Fontaine Didier et de Casino Batelière en Martinique, du Crédit agricole en Guadeloupe, de Pôle emploi, du CHU de Pointe-à-Pitre-Abymes. (…)
Du côté de nos jeunes camarades qui animent le journal lycéen et étudiant Rebelle, une campagne pour la création immédiate de 10 000 emplois a commencé.
La décision de faire cette campagne fait suite à l’augmentation énorme de la délinquance, de vols, de braquages, de crimes, commis par de jeunes désœuvrés. Oui, le chômage fait des ravages. Le délabrement des hommes que vous connaissez aussi en France est lié au délabrement général. Tout se dégrade.
Les services publics sont laissés à l’abandon. L’exemple le plus scandaleux, particulièrement en Guadeloupe, est le manque d’eau au robinet pour des milliers d’usagers. (…)
Nous aurons l’occasion de dénoncer tout cela lors des prochaines campagnes électorales. Nous avons déjà appelé à soutenir Nathalie Arthaud à l’élection présidentielle. Et nous avons annoncé nos candidats pour les élections législatives.
Organisation des travailleurs révolutionnaires (Haïti)
L’ouragan Matthew
L’ouragan a frappé cinq départements du pays sur dix et a été classé en catégorie 4 dans le grand Sud qui est complètement ravagé. La situation des populations sinistrées empire de jour en jour parce qu’elles sont livrées à elles-mêmes. Environ deux semaines après le passage de l’ouragan, les populations sinistrées n’avaient pas vu arriver le moindre secours de l’État et des ONG. Les candidats qui avaient de gros moyens, comme Jovenel Moïse, candidat de l’ex-président chanteur Martelly, en profitaient pour augmenter leur capital politique en offrant notamment des sachets d’eau frappés de leur emblème et de leur photo. Après l’ouragan, c’est le choléra, la famine, l’absence des soins qui déciment les populations sinistrées dont la situation est alarmante.
L’aide en nature et en espèces, collectée massivement, principalement par les ONG, est détournée en grande partie comme cela avait été le cas en 2010 lors du tremblement de terre. Les problèmes restent entiers.
La faune et la flore du grand Sud sont dévastées à plus de 80 % or cette région est considérée comme le grenier du département le plus peuplé du pays, ainsi que l’Ouest où se trouve Port-au-Prince, la capitale d’Haïti avec plus de 3 millions d’habitants.
Plus d’un millier de morts. La majorité des maisons sont démolies, les toits emportés, bétail et volailles décimés, jardins et récoltes détruits. Parlant de la catastrophe et des riverains de sa bourgade, un paysan décrit ainsi la situation : « Il n’y a que nous qui sommes debout : les maisons, les arbres, les animaux, les volailles sont tous à terre et sans vie. »
Une paysanne raconte que dans son coin, où presque toutes les maisons sont démolies, beaucoup de gens logent dans des tombes pour dormir ou se protéger contre le soleil pendant la journée.
Un autre paysan, fan du football, rejette la théorie de la malédiction et préfère comparer la situation du pays à une équipe de foot sans défenseurs, voire sans gardien. Il a ajouté : c’est pourquoi on encaisse autant de buts en parlant des effets de la catastrophe. Il a ainsi pris le contre-pied de la déclaration d’un sénateur en fonction, médecin de surcroît : « S’il y a tous ces drames dans le pays, c’est parce qu’il y a trop d’homosexuels chez nous. »
Lors de nos interventions à la radio et dans les discussions, nous affirmions que même pour bénéficier des aides diverses qui arrivent, les populations sinistrées et celles qui ne le sont pas ont intérêt à se donner les moyens, l’organisation, pour en contrôler l’acheminement et la distribution. Sinon, tout cela sera encore détourné par les petits et grands margoulins qui chercheront à en tirer du profit, au détriment de la santé et de la vie de la population. À titre d’exemple, il y a six ans, la Croix-Rouge américaine avait construit 6 bicoques (comparées à 6 pierres tombales) avec 500 000 dollars collectés au nom des victimes du séisme du 12 janvier 2010.
Les élections
Si la situation des populations sinistrées est le cadet des soucis des dirigeants politiques et économiques, ce n’est pas le cas des élections qui ont déjà absorbé plus 150 millions de dollars du Trésor public sans parler du financement des candidats par les hommes d’affaires.
En 2011, une année après le tremblement de terre, un musicien-chanteur du nom de Michel Martelly, surnommé Tèt kale (crâne rasé), était devenu président du pays à la faveur de magouilles et manipulations de toutes sortes orchestrées par les ambassades américaine et française, et surtout dans un contexte de rejet du pouvoir sortant haï par la population, notamment pour son indifférence et son inaction lors du séisme. Martelly a été installé le 14 mai 2011 et est sorti par la petite porte le 7 février 2016 pour n’avoir organisé aucune élection pendant son mandat.
Un président provisoire a été élu par le Parlement (donc au second degré) pour organiser les élections.
En effet, l’élection présidentielle et des législatives partielles se sont tenues le dimanche 20 novembre dernier dans un calme apparent dans tout le pays. Mais la population a boudé massivement ce scrutin.
Ces élections ont été organisées après qu’une commission d’évaluation mise en place par le gouvernement provisoire présidé par Jocelerme Privert eut invalidé celles organisées par Martelly en octobre 2015, qui consacraient un deuxième tour entre Jovenel Moïse arrivé en tête (avec 30 % des voix), le candidat de Martelly, et Jude Célestin, qu’on peut considérer comme représentant l’un des nombreux avatars du mouvement Lavalas d’Aristide.
Selon les résultats préliminaires publiés à la fin du mois de novembre dernier, le candidat de Martelly est arrivé en tête avec 56 % des votes et les trois candidats qui suivent sont tous issus directement ou indirectement du mouvement Lavalas d’Aristide, qui n’a pas arrêté de se morceler depuis l’éviction d’Aristide en 2004 et son départ en exil.
Il s’agit donc de Jude Célestin, arrivé en deuxième position avec 19 % des suffrages. Il était favori en 2011 et alors supporté par le président sortant René Préval, dauphin d’Aristide qui avait fait deux mandats d’affilée. Viennent ensuite Moïse Jean-Charles, ex-sénateur, un dissident de Lavalas d’Aristide et principal opposant au pouvoir de Martelly, et Maryse Narcisse de La Fanmi Lavalas d’Aristide, en quatrième position.
En attendant les contestations qui sont dans l’impasse, Jovenel Moïse est en principe élu au premier tour, suivant les dispositions de la loi électorale, mais les trois autres candidats, en particulier celui d’Aristide, mobilisent leurs partisans dans les rues depuis la publication des résultats préliminaires pour dénoncer un coup d’État électoral. Pour l’instant, ces manifestations sont sévèrement réprimées par la police.
Entrepreneur agricole de 48 ans, Jovenel Moïse, était un auguste inconnu avant d’être désigné par Martelly. Deux ans avant, ce dernier avait fait décaisser environ 26 millions de dollars du Trésor public au bénéfice de celui qui allait devenir son candidat et lancer une entreprise de bananes à l’aide de ces fonds. Le candidat Jovenel Moïse a aussi bénéficié du soutien total et ouvert des ambassades, qui ont préféré un néophyte en lieu et en place des politiciens traditionnels, leurs valets certes, mais qui se révèlent de plus en plus difficiles à gérer. Ce soutien de la diplomatie internationale, des nantis d’Haïti voire des dealers de drogue, s’est traduit par des sommes colossales injectées dans la campagne de Jovenel Moïse dont les posters géants figuraient dans toutes les communes du pays et les spots publicitaires dans toute la presse parlée, écrite et télévisée. Cela fit dire à un journaliste très écouté et très informé que Jovenel a eu 95 % du financement du secteur privé et les autres candidats 5 %. Après l’ouragan Matthew qui a dévasté plusieurs départements du pays, le poulain de Martelly était plus présent que l’État haïtien dans les régions sinistrées, lors de l’arrivée de bateaux, de produits alimentaires en provenance des USA, et par ses promenades en hélicoptère dans les zones les plus affectées.
Le très faible taux de participation a aussi joué en faveur du poulain de Martelly, qui a obtenu moins de 600 000 voix sur 6 millions d’électeurs : 23 % selon l’organisme électoral et moins de 15 % selon d’autres observateurs. En effet, quand les classes pauvres ne se mobilisent pas en masse pour voter et contrôler leurs votes, comme ce fut le cas en 1991 pour Aristide, le scrutin devient essentiellement une histoire de gros sous. C’est le plus fortuné qui gagne !
La question qui se pose quand même est : par quelle baguette magique Jovenel qui, à l’élection présidentielle invalidée avait obtenu 30 % des voix grâce à des fraudes massives, est-il arrivé environ un an plus tard à obtenir plus de 55 % des voix, dès le premier tour, sans frauder ? Les rares travailleurs et des petits marchands qui ont fait le déplacement ont avoué avoir voté Jovenel Moïse pour barrer la route à la candidate d’Aristide parce qu’ils craignent un retour en force des chimères, membres de la milice d’Aristide qui sévissaient contre les habitants des quartiers populaires.
Les témoignages des travailleurs qui sont allés voter laissent penser que la popularité d’Aristide se réduit de plus en plus aux chômeurs, aux lumpens des quartiers pauvres qui n’ont pas de carte électorale pour la plupart. Mais sa capacité à mobiliser cette base sociale qui lui est acquise reste intacte.
Ces élections se sont, par ailleurs, déroulées sur fond d’aggravation de la misère des classes pauvres. Déjà, pendant les cinq ans de Martelly, le dollar américain est passé de 40 à plus de 60 gourdes et les prix des produits alimentaires se sont envolés graduellement avec la dégringolade de la gourde. Sur la zone industrielle, dans les quartiers pauvres, la dégradation brutale des conditions de vie saute aux yeux. Viennent s’ajouter les effets collatéraux de l’ouragan Matthew.
L’environnement du pays se délite, le pays se meurt sous les coups de boutoir des capitalistes sans vergogne qui ne se contentent que de faire fructifier leurs capitaux, et des politiciens corrompus, à leur tour, s’acharnent sur ce qui reste des caisses de l’État, comme des charognards se battant sur une proie. Le pays est ruiné et dépecé. Les pauvres s’appauvrissent chaque jour davantage et de façon brutale ; les riches s’enrichissent sur les ruines.
Cette année a été particulièrement rude pour les travailleurs, les classes pauvres en général.
Workers’ Fight (Grande-Bretagne)
Le Brexit est donc passé en juin dernier, avec une majorité de 3 %. L’abstention a été de 27 %, dont un certain nombre de jeunes et de travailleurs politisés qui n’ont pu se résoudre à donner leur caution ni à la politique de Cameron, ni à la xénophobie des partisans du retrait. N’ayant eu le soutien que de 39 % de l’électorat, le Brexit est donc loin d’exprimer la « volonté démocratique du peuple britannique » comme on nous le répète ad nauseam.
Rappelons que Cameron avait parié sur ce référendum pour faire cesser les luttes internes au sein de son propre Parti conservateur. Ayant perdu son pari, il a démissionné. Les marchandages qui ont suivi ont fait passer les rênes du pouvoir aux mains de Theresa May, qui s’était montrée très discrète dans son soutien au maintien dans l’Union. Elle a ensuite attribué les principaux ministères à des partisans du Brexit, à l’exception du poste vital des Finances auquel elle a nommé Philip Hammond, un partisan du maintien, qui est également considéré comme un homme de confiance par la City de Londres, laquelle est hostile au Brexit.
En théorie, Theresa May est censée déclencher le processus de retrait en mars. Mais en attendant, son propre parti est de plus en plus divisé entre les partisans d’un Brexit « dur » et ceux d’un Brexit « mou ». Néanmoins, aujourd’hui, tous les ministres partisans du Brexit, y compris ceux qui sont pour la fermeture des frontières, admettent vouloir préserver le libre accès de la Grande-Bretagne au marché européen.
Or le gouvernement ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : à la fois ce libre accès au marché européen que réclame la City et le contrôle sur l’immigration européenne qu’il revendique. Theresa May est donc sur la corde raide, prise entre la minorité de l’électorat qui a voté pour le Brexit, les pressions des factions de son parti et celles des milieux d’affaires.
Sa liberté d’action est d’autant plus limitée qu’en un an, la livre a perdu environ 20 % de sa valeur face à l’euro et au dollar. Cela creuse un peu plus le déficit commercial, tandis que les nombreuses usines britanniques qui utilisent des composants importés voient leurs coûts de production augmenter, au grand déplaisir du patronat.
Quant au parti travailliste de Jeremy Corbyn, il n’ose pas remettre en question le Brexit, par peur d’être accusé d’ignorer la « volonté du peuple ». Corbyn a donc annoncé qu’il ne ferait rien pour bloquer le processus. Mais certaines figures dirigeantes de son parti vont bien plus loin, en préconisant de défendre des mesures démagogiques contre l’immigration.
Pourtant, Londres a voté à 60 % contre le Brexit, alors que c’est là que vivent la majorité des travailleurs immigrés et où la crise du logement est de loin la plus aiguë. En revanche, dans des villes de province où les immigrés sont beaucoup moins nombreux mais où la dégradation sociale est encore pire, le vote pour le Brexit a parfois atteint les 70 %. C’est d’ailleurs dans une de ces villes, dans le nord de l’Angleterre, que la députée travailliste Jo Cox a été abattue par un individu, au cri de « l’Angleterre d’abord ».
Pourquoi une partie des travailleurs les plus pauvres, souvent des électeurs naturels du Parti travailliste, ont-ils voté pour le Brexit ? Les préjugés xénophobes et les mirages sur lesquels surfait le camp du Brexit ont sans doute joué un rôle. Mais pour la plupart de ces travailleurs, cela a été un geste de colère. Ils ont cru prendre ainsi leur revanche contre cette classe politique qu’ils tenaient pour responsable de la crise sociale et la pauvreté croissante.
Six mois après le référendum, nombre de ceux qui ont voté pour le Brexit admettent qu’ils le regrettent. Et ils sont inquiets. Déjà, ils voient grimper les prix des nombreux produits importés qu’ils achètent au supermarché. Par ailleurs, le gouvernement vient d’annoncer une augmentation importante de son déficit budgétaire. Il a aussi admis que le coût du Brexit serait de l’ordre de cent vingt milliards d’euros, étalés sur cinq ans, ce qui est logique si, comme il l’a laissé entendre, il indemnise les pertes éventuelles que les entreprises pourraient subir du fait du Brexit. D’ailleurs, Theresa May n’a-t-elle pas déjà passé un accord secret avec Nissan après que le groupe eut menacé de suspendre ses investissements dans le pays ?
La classe ouvrière, elle, n’aura, bien sûr, droit à aucune indemnité. On exigera d’elle qu’elle paie la facture de multiples façons, et en particulier aux dépens des services publics et de l’emploi. Il lui faut, par conséquent, se préparer à se battre contre une nouvelle offensive de la bourgeoisie.
Lutte ouvrière / Arbeidersstrijd (Belgique)
Dernièrement, la ministre canadienne des affaires étrangères a dû visiter une capitale européenne de toute première importance : Namur. Cette petite ville de 110 000 habitants est en effet la capitale de la Wallonie. Et la Wallonie, dirigée par son ministre-président PS Paul Magnette, a empêché pendant quelques jours la signature du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le fameux CETA.
Une fois que la ministre canadienne eut trouvé le chemin pour Namur, alors qu’elle doit déjà avoir eu du mal à situer dans quel pays minuscule se trouve Bruxelles, le traité a finalement été signé.
Mais Paul Magnette entend bien se faire une réputation de combattant contre les multinationales et leurs traités qui « mettent en danger nos institutions démocratiques », comme il dit. Et il doit faire d’autant plus de cinéma qu’il n’a strictement rien à opposer à la multinationale Caterpillar qui a annoncé la fermeture de son site en Wallonie, avec la disparition de 2 200 emplois directs.
Cette « mélenchonnade », de la part d’un ministre-président, avec une charge gouvernementale donc, fût-elle régionale, a pu étonner un peu, vue de France. (…)
Elle a sa justification dans la démagogie sur la « spécificité wallonne » que voudrait protéger le gouvernement PS – les petits agriculteurs wallons, les PME wallonnes, les associations wallonnes, « l’économie à circuit court » wallonne, l’emploi wallon et les citoyens wallons –, Magnette promeut le « patriotisme économique wallon », et l’« acheter wallon » en Wallonie. L’exercice pourrait s’intituler « comment placer le mot wallon au moins deux fois dans chaque phrase ». Car ce n’est effectivement qu’un exercice de mots et pas du tout la défense des petites gens, même de la petite bourgeoisie. Mais ces mots distillent le nationalisme, pire, le nationalisme régional, et tendent à diviser les travailleurs encore un peu plus.
En arrière-plan, c’est la 6e réforme de l’État décidée par le gouvernement national précédent, sous la direction du PS. Elle prévoit le transfert de presque un tiers des compétences qui restaient au niveau national, vers les régions. Par exemple la politique de l’emploi. Entendez : les aides aux entreprises et les sanctions pour les chômeurs. Plusieurs centaines de fonctionnaires de l’Office national de l’emploi ont été déménagés dans les régions pour davantage contrôler et sanctionner les chômeurs, mais régionalement. Le prochain dossier est celui des allocations familiales. Au lieu d’une seule, il y aura trois caisses différentes, et en fonction du lieu d’habitation, en Flandre, en Wallonie ou à Bruxelles, les enfants n’auront plus droit aux mêmes allocations. Il y a aussi plusieurs volets dans le domaine de la santé, de l’accueil des personnes âgées, des handicapés, etc.
Et bien sûr, si les compétences sont régionalisées, les moyens ne le sont pas dans la même proportion. L’enveloppe reste fixe jusqu’en 2024. Mais à partir de là, les règles de répartition des moyens financiers entre les régions et communautés changeront également. En gros, les transferts de la Flandre plus riche vers la Wallonie plus pauvre cesseront progressivement. C’est donc un énorme plan d’austérité qui court sur plusieurs années et que le gouvernement wallon, tout comme le gouvernement flamand, sont en train de mettre en œuvre chacun chez lui.
Alors, il est possible que les traités commerciaux internationaux fassent des dégâts, mais les divers gouvernements belges, dont celui du socialiste Magnette, y arrivent très bien tout seuls. Et contrairement à ce qui est souvent dit, le PS wallon n’est pas le dernier quand il s’agit de découper et redécouper la Belgique toujours plus. Déjà on entend des voix à Namur qui réclament une 7e réforme de l’État. Oui, une fois qu’on a commencé de découper la Sécurité sociale entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, la dynamique vous entraîne toujours plus loin.
Alors, cette histoire du refus du CETA, c’était aussi un petit bras de fer avec le gouvernement fédéral (le gouvernement de l’ensemble de la Belgique) auquel le Parti socialiste francophone ne participe pas.
Ce gouvernement fédéral est constitué de trois partis flamands et un parti francophone (le MR, les libéraux francophones). Le parti nationaliste flamand N-VA y participe et ce sont les sociaux-chrétiens flamands qui y jouent « l’aile gauche ». Ce gouvernement de droite continue les attaques contre les travailleurs en partant de là où le gouvernement précédent, sous la direction du PS, les avait laissées. Il a notamment mis sur la table une réforme du droit du travail qui ressemble à la loi travail en France et dont les implications iront certainement bien plus loin que la seule fin de la semaine des 38 heures dénoncée par les syndicats.
Il y a aussi la réforme des pensions, qui dépasse largement le fait d’avoir relevé l’âge de la retraite à 67 ans. Le gouvernement veut modifier le calcul des pensions de telle façon que les périodes de chômage, de temps partiel, d’études, etc., ne seront plus prises en compte de la même façon, même pour l’accès à la pension minimum, qui risque donc de devenir inaccessible pour beaucoup de travailleurs.
Le PS wallon dénonce l’austérité du gouvernement fédéral. Hypocritement, car la Wallonie l’applique. (…) Surtout, il dénonce le MR qui a « trahi les Wallons » en acceptant d’aller au gouvernement avec trois partis flamands…
Ces tendances centrifuges qui agitent la Belgique se ressentent aussi au niveau syndical. Dans plusieurs secteurs, en tout cas à la FGTB, liée au PS, les centrales syndicales se sont déjà séparées. C’est vrai pour les enseignants depuis la communautarisation de l’enseignement en 1989. Les métallos depuis 2006. Mais même dans les syndicats qui restent unifiés, les tensions se ressentent. Par exemple en avril de cette année, quand le secrétaire général de la FGTB des cheminots, un francophone, a appelé à la grève dans les chemins de fer, les dirigeants syndicaux flamands n’ont pas voulu se « laisser dicter la grève »… par un francophone. Des cheminots flamands ont fait grève quand même. Mais du côté francophone, rien n’a été fait pour les aider à résister à l’hostilité des appareils syndicaux.
Au même moment, les syndicats de tous les services publics avaient appelé à une manifestation nationale à Bruxelles. Mais les dirigeants francophones ont décidé en dernière minute de privilégier des actions en Wallonie. Ils prenaient prétexte de la grève des trains qui rendrait impossible de transporter les manifestants à Bruxelles. Mais ils ont bien réussi à louer des cars pour transporter leurs affiliés bruxellois aux actions en Wallonie, plutôt que les appeler à participer à la manifestation à Bruxelles.
Pour les travailleurs c’est évidemment une tendance vers le nationalisme très grave. Il ne faut pas oublier la grande grève de 1960-1961. Commencée en Flandre, elle est devenue nationale malgré l’opposition des directions syndicales. Elle a ensuite été transformée en grève « wallonne », notamment par le dirigeant syndical FGTB liégeois André Renard. Cela n’a pas seulement permis de mener dans l’impasse cette grève qui ne manquait pourtant pas de combativité. Cela a aussi fourni la base pour commencer le découpage du pays. C’est après la grève, et en partie en son nom, qu’en 1962 fut tracée la « frontière linguistique » entre le Nord et le Sud du pays.
Cinquante-cinq ans et cinq réformes de l’État plus tard, Magnette et bon nombre de dirigeants socialistes et syndicalistes continuent toujours la même démagogie nationaliste qui se pare toujours d’un ton faussement de gauche, mais que pourrait reprendre à son compte une extrême droite wallonne qui aurait réussi à se structurer.
Le PTB (Parti du travail de Belgique), d’origine maoïste et stalinienne, mais qui ne se présente plus publiquement comme communiste (…) est le seul parti qui ne soit pas scindé au plan national. Tous les autres partis sont soit flamands soit francophones. (…) Mais le PTB a salué le cirque de Magnette comme un signal encourageant pour la gauche européenne.
Pour notre part, nous comptons bien garder notre attachement à la classe ouvrière et notre conviction internationaliste chevillés au corps.
Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d’Ivoire)
Le président ivoirien Ouattara se félicite de la prétendue prospérité économique qui serait revenue dans ce pays grâce à lui, mais la misère frappe toujours plus de personnes. L’activité économique a pris un peu plus de vigueur notamment dans le secteur de l’immobilier (avec des hauts et des bas) mais aussi dans le secteur industriel. Dans la zone industrielle du port d’Abidjan, des usines nouvelles sont implantées, d’autres agrandissent leurs installations. Mais les travailleurs, même quand ils ont un petit boulot, s’enfoncent dans la pauvreté à cause des bas salaires et de la généralisation du travail journalier.
Les « déguerpissements » continuent. C’est l’expression consacrée par les autorités pour chasser sans ménagement les petites gens sous prétexte de lutte contre l’insalubrité et l’occupation illégale des espaces publics. Ce sont des petits vendeurs, des mères de famille ou des enfants qui essaient de faire du petit commerce le long des rues pour avoir de quoi survivre. Le gouvernement continue aussi de raser les quartiers précaires à coups de bulldozer, pour le grand bonheur des promoteurs immobiliers. Ceux-ci se frottent les mains car il y a beaucoup d’argent à gagner dans la construction de maisons à vendre ou de centres commerciaux dans ces quartiers libérés. Des dizaines de milliers de familles ont été ainsi chassées de leurs maisons et continuent de l’être. Elles se retrouvent du jour au lendemain sans toit.
Le travail journalier se généralise. C’est le cas y compris dans la fonction publique. Ainsi, dans les hôpitaux publics, des infirmières, des femmes de salles, des brancardiers, des ambulanciers sont, ou bien des journaliers, ou bien des employés d’entreprises sous-traitantes. Ce qui revient au même.
La situation sociale en Côte d’Ivoire est actuellement marquée par une grève dans la fonction publique en réaction à la dégradation des conditions d’existence. Du 7 au 11 novembre dernier, plusieurs secteurs ont été touchés : l’enseignement, les hôpitaux, l’administration. Cette grève a été largement suivie. Les revendications sont diverses : la retraite, le paiement des arriérés de salaires et des primes pour certains, l’intégration des journaliers dans la fonction publique pour d’autres. Le corps enseignant a aussi des revendications spécifiques. Les instituteurs par exemple sont tenus d’enseigner un jour de plus par semaine, le mercredi, ce qui n’était pas le cas jusque-là.
Le taux des prélèvements ponctionnés sur leurs feuilles de paye a augmenté alors que le montant des pensions a été revu à la baisse. Cela fait beaucoup de mécontents et ceci explique la participation importante à cette grève. Ouattara a évidemment qualifié la grève d’illégale. L’un de ses ministres a menacé de suspendre les salaires des grévistes s’ils ne reprenaient pas le travail dès le lundi 14 novembre. Le gouvernement a trouvé quelques dirigeants syndicaux prêts à se vendre et à appeler à la fin du mouvement mais cela n’a pas marché. De nombreux employés ont continué le mouvement.
Le ministre de la Fonction publique, qui a reçu les responsables du mouvement, a tenté de le morceler. Rien de clair n’est sorti de cette rencontre. Les menaces initialement proférées ont été mises de côté. Néanmoins un nouveau préavis de grève a été déposé pour une cessation de travail du 9 au 13 janvier 2017. Cela prouve qu’il y a un réel mécontentement et une certaine combativité dans la fonction publique.
Les travailleurs du secteur privé reçoivent aussi des coups, particulièrement ceux qui sont au plus bas de l’échelle. Mais aucune centrale syndicale qui a pignon sur rue ne cherche à organiser quelque chose. Les dirigeants de ces appareils, quand ils ne sont pas eux-mêmes intégrés dans le système, sont des vendus. Mais cela n’a rien de nouveau. Devant ce vide, de nouveaux syndicats se créent. Mais quand ils ne sont pas un peu farfelus, tels ceux qui font un signe de croix, une prière, voire une incantation avant le début de chaque réunion, ce sont souvent des boutiques dirigées par des individus plutôt intéressés financièrement. Aujourd’hui, dans les zones industrielles, la journalisation du travail est une vraie catastrophe pour les travailleurs. Cela pourrait mobiliser leurs forces si des structures prenant en compte ces aspirations existaient sur le terrain.
Voz Obrera (Espagne)
La situation du monde du travail en Espagne continue de se dégrader. Au chômage élevé s’ajoute une précarité toujours plus grande des travailleurs et de ce fait un appauvrissement général des classes populaires. Le prétendu miracle de la reprise économique espagnole n’est évidemment qu’un rideau de fumée. En fait la reprise est très précaire. On a pu le voir récemment lorsqu’une vieille dame est morte en Catalogne dans l’incendie de sa maison. Elle utilisait des bougies parce que la compagnie électrique lui avait coupé le courant. Ce drame, qui a indigné tout le pays, a mis en évidence à quel point la fameuse « sortie de crise » de Rajoy est vide de sens. Plus de cinq millions d’Espagnols connaissent ce qu’on appelle désormais la « pauvreté énergétique ». Parmi les salariés, 35 % vivent avec un salaire inférieur ou égal au salaire minimum ; presque 60 000 foyers ont tous leurs membres au chômage ; et depuis 2009, 218 000 jeunes ont dû émigrer.
À cela s’ajoute la peur du licenciement. Elle est si répandue qu’elle touche même les délégués syndicaux, qui en théorie sont protégés par la loi. Avec plus de cinq cents licenciements par jour en moyenne, le capital fait payer sa crise aux travailleurs, par l’augmentation du taux d’exploitation et du taux de profit des capitalistes.
Les mobilisations sont redescendues au niveau d’avant la crise et d’avant le mouvement du 15M, des Indignés, de 2011. L’une des raisons est l’électoralisme de Podemos. La classe ouvrière et les classes populaires qui s’étaient mobilisées ont abandonné la lutte dans la rue et ont mis leurs espoirs dans les élections.
Ces illusions ont été alimentées par les leaders médiatiques de Podemos. Dans leur euphorie, ils ont prétendu que, pour changer les choses, il suffisait de voter. À présent, après la période électorale, c’est la désillusion pour beaucoup car rien n’a changé. Au bout du compte, les manœuvres des uns et des autres ont fini par rendre le gouvernement à Mariano Rajoy et au Parti populaire. Le nouveau gouvernement de droite (presque le même que celui d’avant) promet de nouvelles attaques contre les travailleurs, en particulier contre les retraites et les services publics et sociaux. Avec l’augmentation misérable de cinquante-cinq euros du salaire minimum, qui est l’un des plus bas de l’Union européenne (655,40 euros), les socialistes ont cru pouvoir se présenter comme une opposition de gauche. Ce que ne disent pas ces politiciens qui s’appellent encore socialistes, c’est qu’ils ont accepté en échange de voter le budget de l’État. Un budget sévère qui va frapper de plein fouet les travailleurs et les classes populaires.
Une autre conséquence de cette longue période électorale est la crise au sein du Parti socialiste. Les dernières élections générales puis les régionales en Galice et au Pays basque ont confirmé la chute électorale du PSOE. La lutte s’est engagée au sein du parti et Pedro Sánchez a été éjecté du poste de secrétaire général et de candidat. Les barons ont utilisé la débâcle électorale pour imposer une direction provisoire du parti qui puisse s’abstenir devant Rajoy et voter son budget. L’élimination de Pedro Sánchez, qui continuait à s’opposer à un gouvernement de la droite, a discrédité le PS comme opposition. Il reste dans le parti un noyau assez important de fidèles de Sánchez, qui se prépare à lutter pour le poste de secrétaire général au prochain congrès ; autour de lui se cristallise une sorte d’aile gauche socialiste. Récemment, dans une émission de télé très regardée, Sánchez a dénoncé les pressions et les manœuvres des grands capitalistes pour l’empêcher de s’opposer à la droite, et leur soutien à Rajoy. En réalité il n’a fait que révéler des pratiques habituelles dans la démocratie bourgeoise : ce sont les capitalistes qui mettent en place ou chassent les politiciens de droite ou de gauche et qui leur dictent leur politique. Ce sont eux qui ont parié sur un gouvernement de Rajoy appuyé plus ou moins franchement par les socialistes.
Alors, après deux élections générales sans obtenir de majorité absolue ni d’accord de gouvernement, finalement c’est la droite, le Parti populaire, qui s’est maintenue au pouvoir. Avec le soutien direct de Ciudadanos, la nouvelle droite, née il y a quelques années, et le soutien indirect des socialistes qui ont fini par s’abstenir.
Ce long cycle électoral a vu les équilibres politiques habituels se modifier, notamment avec l’apparition de Podemos. Les cinq millions de voix de Podemos traduisent une volonté de changement dans les classes populaires. Cependant, la déception et la démoralisation sont vite apparues. Podemos n’a pas atteint l’objectif de ses dirigeants, qui était de surclasser le Parti socialiste pour devenir la deuxième force politique et le noyau de l’opposition. Certes, Podemos a profondément perturbé le panorama politique habituel. Le parti s’est rapidement imposé comme la troisième force politique du pays.
Pendant cette année électorale, et surtout après les élections de juin, les dirigeants de Podemos ont fait tout un cinéma avec leurs tentatives pour former un gouvernement de gauche. Devant l’opinion publique, et surtout devant ceux qui leur faisaient confiance, ils ont amplement démontré qu’ils sont des politiciens comme les autres, manœuvriers, arrivistes, surtout préoccupés de leur place au Parlement et au gouvernement. Ils sont apparus pour ce qu’ils sont vraiment. Pour ceux qui veulent changer la société, la leçon est claire : avoir les cheveux longs et parler avec véhémence, ça ne suffit pas à rompre avec la vieille politique. (…)
Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)
L’Allemagne aussi se trouve en campagne électorale : entre mars 2016 et mai 2017, huit élections régionales ont lieu, dont chacune est interprétée comme un thermomètre pour les élections législatives qui auront lieu en septembre 2017. Ces élections détermineront notamment qui deviendra chancelier... ou plutôt chancelière. Car Angela Merkel, chancelière depuis douze ans, a été de nouveau choisie par son parti, la CDU (centre-droit). Sa popularité a certes baissé mais reste considérable, et dans les sondages, son parti se trouve très largement devant tous les autres. (…)
Chacune des cinq élections régionales ayant eu lieu depuis mars a enregistré des succès importants pour le nouveau parti de droite radicale AfD (Alternative pour l’Allemagne), qui a réussi, du jour au lendemain, à obtenir des scores de 12 %, 15 %, voire 24 % dans une région de l’Est. Et cela notamment en faisant une campagne abjecte contre les réfugiés et les immigrés, les associant au terrorisme et à la criminalité, notamment envers les femmes.
En Allemagne, l´extrême droite ne parvenait pas jusque-là à exercer une influence. L’arrivée des réfugiés a été pour elle un catalyseur. Mais indépendamment de ce sujet un tel parti serait probablement apparu tôt ou tard, pour les mêmes raisons que partout ailleurs : la crise, l’absence de réponse de la classe ouvrière, et aussi un dégoût du système politique actuel. En effet en Allemagne, l’alternance n’existe même plus dans la forme. Sur les onze dernières années, les deux grands partis, CDU et SPD (social-démocrate), ont passé sept ans à gouverner ensemble dans une grande coalition. Il n’était pas rare que même la veille d’élections, la moitié des personnes sollicitées ne parlent pas du vote, tout simplement parce que dans ces conditions, un nombre croissant n’allait plus voter. C’est particulièrement ceux-là, les abstentionnistes, que l’AfD a réussi à mobiliser, parvenant à se faire passer pour une véritable alternative. Le taux de participation dans les dernières élections à nettement augmenté.
Le noyau de son électorat, c’est d’abord un milieu petit-bourgeois réactionnaire et affecté par la crise, dans lequel l’AfD recrute aussi quasiment tous ses membres. C’est un milieu qui déteste Merkel au moins autant pour l’introduction du salaire minimum que pour sa politique envers les réfugiés, et qui se retrouve bien dans l’AfD ouvertement antiouvrier, réactionnaire et xénophobe.
Mais dans le milieu ouvrier aussi, des travailleurs qui en ont assez de la situation qui se dégrade, de la précarité, de la pauvreté croissante, des retraites misérables et des politiciens arrogants et méprisants, se mettent à voter pour ce qui leur semble être une alternative face à la grande coalition des partis traditionnels. Parfois, des ouvriers qui veulent voter pour l’AfD disent clairement que sa politique xénophobe ne leur plaît pas, mais que « si tous les autres partis les détestent, il y doit y avoir quelque chose de bien chez eux ». Dans des régions ouvrières, certains travailleurs de tradition social-démocrate ou proches des syndicats commencent à envisager de voter AfD. Ce qui a fait du bruit aussi, ce sont quelques politiciens locaux du SPD, militants syndicaux et sociaux-démocrates de terrain, qui dans des quartiers ouvriers de Berlin ou de la Ruhr ont rejoint l’AfD et sont devenus ses candidats. Complètement indépendamment de la question des réfugiés, il y a donc de fortes chances pour qu’un vote à l’extrême droite persiste et gagne du terrain aussi en milieu ouvrier et syndical, où il était jusque-là inexistant et même inimaginable.
Mais évidemment les partis bourgeois ne peuvent pas analyser les raisons du vote AfD, car cela voudrait dire remettre en question l’ensemble de leur politique. Il est donc bien plus confortable pour eux d’en rendre responsable l’accueil des réfugiés. Cela explique la situation révoltante où les partis qui par leur politique causent la montée de l’extrême droite en rendent responsables ceux qui en sont les premières victimes : les réfugiés. Ils en sont les victimes sur plusieurs plans : victimes des lois que le gouvernement CDU-SPD promulgue pour restreindre leur arrivée, notamment la limitation du regroupement familial, y compris pour ceux qui arrivent de Syrie. De jeunes gens arrivés seuls ne peuvent souvent plus faire venir, par des voies légales et sûres, leur conjoint et leurs enfants en bas âge, qui restent dans un pays en guerre. Des réfugiés sont aussi les victimes des petits groupes d’extrême droite qui, renforcés par les succès électoraux de l’AfD, leur font la chasse notamment dans certains coins d’Allemagne de l’Est. Le plus grand risque est que le maintien d’un courant d’extrême droite qui fait entre 10 % et 20 % des voix contribue à creuser un fossé entre les réfugiés et les autres travailleurs, cela d’autant plus que la majorité des réfugiés se retrouveront en bas de l’échelle, avec des emplois mal payés, s’ils en trouvent.
Ceci dit, pour le moment ce n’est pas l’atmosphère dominante : quand on discute dans la rue, même les gens qui pensent que l’Allemagne ne peut plus accueillir de réfugiés ont souvent un sentiment de compassion envers eux et pensent qu’il faut quand même les aider. Depuis la fermeture de la frontière entre la Turquie et la Grèce, seul un petit nombre de réfugiés réussit encore à rejoindre le pays, et les centres provisoires d’accueil dans les gares, les villages de tentes ont disparu. Du coup, l’aide aux réfugiés de la part de simples gens est moins visible. Néanmoins, plusieurs centaines de milliers continuent à s’investir dans l’aide aux réfugiés ; ils hébergent un réfugié mineur chez eux, organisent des sorties avec les réfugiés d’un foyer, en intègrent dans les clubs de foot, organisent des fêtes de quartier etc. (…)
Les courants de droite ont aussi été renforcés par les événements en Turquie, très présents dans les médias et aussi dans la conscience des classes populaires en Allemagne, avec plusieurs millions de travailleurs d’origine turque. Parmi eux, existe un fort courant de soutien à Erdogan, dont les militants sont devenus plus agressifs et plus visibles depuis le putsch. Ils ont par exemple organisé une manifestation de soutien à Erdogan avec plus de 30 000 participants à Cologne. À l’inverse beaucoup de gens étaient choqués par les arrestations en masse et ne comprenaient pas comment leur voisin ou collègue de travail pouvaient soutenir Erdogan. La droite a sauté sur l’occasion. L’aile droite de la CDU vient d’imposer au parti, contre Merkel, d’inscrire à son programme la fin de la double nationalité, car on ne pourrait pas à la fois être fidèle aux valeurs de la démocratie allemande et au dictateur Erdogan. Et la droite en a profité aussi pour remettre sur le tapis la fermeture des frontières. Depuis le sale accord avec la Turquie, la droite de son parti propage l’idée que Merkel aurait mis l’Allemagne dans la dépendance du dictateur turc. Au lieu de l’accord avec la Turquie, elle revendique que le gouvernement ferme la frontière allemande.
Le glissement à droite est aussi rendu visible par l’évolution de Die Linke (la gauche dite radicale). Sa seule perspective politique, accéder au pouvoir avec le SPD, s’éloigne de plus en plus, pendant qu’une partie de son électorat des classes populaires est tenté par l’AfD. Die Linke s’est depuis emparée de propos nationalistes qui étaient rares dans ce parti. Dans une région, elle a fait campagne autour du slogan « pour l’amour de notre région ». Sa porte-parole aux législatives, Sarah Wagenknecht, qui représentait l’aile gauche du parti, s’était déjà fait remarquer ce printemps en revendiquant un quota de réfugiés et l’expulsion des immigrés ayant commis un crime. Cette fois elle a loué les projets économiques de Trump, les investissements publics pour sa nation, réclamant avec des relents nationalistes le même type de politique en Europe. Et elle demande que les riches et le gouvernement payent plus pour l’assurance maladie, car sinon, « l’arrivée dans le système de centaines de milliers de réfugiés au chômage se fera sur le dos des caissières et postiers qui verront leurs cotisations augmenter ». Formuler les choses ainsi est encore une manière de monter les travailleurs pauvres contre les réfugiés.
Comme partout, l’évolution des courants réactionnaires dépendra de beaucoup de facteurs, dont l’essentiel est l’évolution de la crise et les réactions de la classe ouvrière.
La crise, pour l’instant un peu moins aiguë que dans d’autres pays, est bien présente et se traduit par des attaques en continu dans les entreprises. Elles sont menées par « une très grande coalition » des patrons, des partis gouvernementaux et… des syndicats. Volkswagen a annoncé 30 000 suppressions d’emplois dont 23 000 en Allemagne (sur 120 000 salariés), alors que Volkswagen a vendu plus de voitures que jamais et que ses actionnaires principaux ont accumulé une fortune de 65 milliards d’euros. Et quelles sont les réactions ? Le gouvernement a félicité le PDG de sa décision « difficile mais courageuse », alors que la direction syndicale (IG Metall) de Volkswagen approuve les licenciements qui « permettraient à tous les autres salariés de ne plus avoir peur, leur avenir étant assuré pour quelques années ». L’attaque passe donc pour le moment sans même un débrayage. (…)
Le seul secteur où il y a eu un peu plus de réactions cette année, c’était celui de différentes compagnies aériennes. Les travailleurs, en particulier les pilotes et hôtesses de l’air, organisés dans de petits syndicats corporatistes, se défendent contre la transformation en sociétés low cost, avec des salaires et conditions low cost. Systématiquement les patrons essayent de faire interdire ces grèves par les tribunaux ou de les faire condamner après coup, se basant sur le droit de grève de plus en plus restreint.
Quand la compagnie Air Berlin a annoncé une fusion qui entraînerait des suppressions de postes et des baisses de salaire, elle s’attendait à des mois de négociations paisibles avec les syndicats pour faire passer ces attaques, car les salariés n’avaient pas le droit de faire grève. Mais dès le lendemain de l’annonce, des salariés, dont l’ensemble des pilotes, se sont mis collectivement en arrêt maladie, déclarant à la presse qu’avec de telles annonces de la part du patron, ils ne se sentaient pas en état de travailler. Au bout d’une semaine de cette grève à peine déguisée, Air Berlin a provisoirement retiré les attaques sur les salaires.
Cette réaction spontanée et déterminée a rencontré beaucoup de sympathie dans le monde du travail. Et cela donnait au moins des idées à des travailleurs auxquels patrons et syndicat ne disent jamais rien d’autre que : « Vous n’avez pas le droit de faire grève ».
L’Internazionale (Italie)
Pour résumer la situation politique italienne, elle est en évolution continue. Comme vous savez, il y a eu un référendum sur une proposition de modification de la Constitution, promue par Renzi et son gouvernement. 60 % des votants ont voté non. Au départ, Renzi avait élaboré ce projet de réforme conjointement avec Berlusconi. Mais avec cette consultation il espérait obtenir le consensus de masse qu’il n’a jamais eu dans les élections, puisqu’il est arrivé au gouvernement par une sorte de conjuration de palais ourdie par ses partisans au sein du PD, le Parti démocrate.
De ce point de vue, ce référendum du 4 décembre a été pour lui une défaite à plate couture. D’autant plus que la réforme de Renzi, qui visait à une gouvernabilité meilleure et moins coûteuse, était appuyée par les plus grands quotidiens et par des groupes décisifs du grand capital. Ses partisans n’étaient pas seulement italiens : aussi bien le Financial Times que le Wall Street Journal avaient pris son parti, ainsi que divers représentants des gouvernements européens, y compris Angela Merkel en tête.
Le soir même du référendum, Renzi a déclaré son intention de démissionner. Depuis cet instant, paradoxalement, c’est dans le camp des partisans officiels du non que la confusion augmente. C’est un éventail politique très hétérogène qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite, de l’Association des partisans aux groupes néo-nazis, et dont les principaux représentants au Parlement sont le Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, la Ligue de Matteo Salvini (l’ex Ligue du Nord), et le parti Forza Italia de Berlusconi.
Maintenant il semble que la patate chaude soit vraiment passée du côté du front des opposants. Renzi leur a demandé de faire des propositions pour constituer un gouvernement d’urgence, afin de faire face aux échéances les plus immédiates, entre autres, le sauvetage de la banque Monte dei Paschi di Sienna, une banque dont la faillite pourrait en entraîner beaucoup d’autres.
Pour compliquer encore les choses, il y a le fait que pour aller aux élections, ce que semblent vouloir aussi bien le PD que les autres forces politiques, il faudrait d’abord faire une nouvelle loi électorale. En effet, la loi électorale actuelle a été déclarée illégitime par la Cour constitutionnelle et celle qui a été élaborée il y a quelques mois par le gouvernement est de nouveau soumise à l’examen de cette même Cour, qui devrait rendre son avis à la fin janvier. En somme, c’est un jeu très compliqué dans les variables duquel il faut encore intégrer la crise interne du PD. Un jeu dans lequel ceux qui ont « vaincu » risquent de se retrouver perdants, tandis que ceux qui ont « perdu » n’ont peut-être pas perdu vraiment.
Bien sûr, on sait que la politique n’est pas une science exacte, mais la politique italienne semble relever encore bien plus des astrologues et des chiromanciennes que des scientifiques.
Quant à lire le résultat du référendum comme un thermomètre des humeurs qui traversent la société, le terrain est un peu plus solide, et là quelques conclusions sont possibles. Je soulignerai trois éléments : tout d’abord, la participation bien plus grande que prévu, qui a été de plus du 68 %. ; ensuite, l’importance du vote non en particulier dans les quartiers populaires ; et enfin, l’importance de ce vote non également parmi les jeunes.
Ce sont surtout le prolétariat et les classes populaires qui ont dit non au gouvernement. Bien sûr il y a aussi dans le non une composante réactionnaire, qui est liée à la peur de l’immigration, une peur qui est amplifiée par les partis de droite qui spéculent politiquement sur ce sentiment. Mais, même si cela reste confus, il y a aussi le refus de toute une politique qui est vécue comme étant faite par les privilégiés contre les pauvres gens.
Les données publiées quelques jours avant le vote par un centre de recherches sociales très connu, le Censis, mettaient en lumière l’augmentation de la pauvreté et des disparités sociales en Italie en ces années de crise. Cela a encore été confirmé récemment par l’Istat, l’institut national de statistiques, pour qui 28,7 % de la population serait en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.
Depuis des mois, Renzi et ses ministres ont arboré des sourires et affiché leur optimisme, en se vantant d’une reprise économique qui serait déjà en marche, ainsi que de la croissance de l’emploi. Il est évident que des millions de travailleurs, de jeunes, de chômeurs, considèrent que ces gouvernants se sont payé leur tête.
Quant à nous, dans la campagne référendaire, nous avons insisté sur le fait qu’il y avait là l’affrontement de deux bandes rivales, liées d’une façon ou d’une autre à la grande bourgeoisie, l’une cherchant à se maintenir et se renforcer, l’autre à conquérir le droit de représenter les intérêts du capital. Sans pour autant faire de la propagande pour l’abstention, nous avons insisté sur le fait que le vrai choix que cette situation pose aux travailleurs n’est pas entre le oui ou le non à une proposition de perfectionnement de l’appareil d’État. Il est entre le fait de continuer à être une masse de manœuvre pour les partis de la bourgeoisie, ou bien de s’engager pour construire leur propre parti.
L’afflux qu’il y a eu vers les urnes témoigne d’un intérêt pour les questions politiques qui a certainement augmenté. Dans les limites très étroites de nos forces en tant que petit groupe propagandiste, cela doit être pour nous une occasion de défendre les idées du communisme révolutionnaire et une politique qui s’en inspire.
Sinif Mücadelesi (Turquie)
La façon dont cette année la situation s’est dégradée en Turquie est connue. Il y a eu cette tentative de coup d’État militaire le 15 juillet, puis la vague d’épuration des institutions, les attentats de l’organisation État islamique, les arrestations en masse. Cela venait s’ajouter à une situation déjà très tendue. Hier encore, 10 décembre, un attentat a fait 29 morts à Istanbul. En plus de tout cela, la crise économique est de plus en plus sensible.
Le gouvernement de l’AKP a décrété l’état d’exception et règne depuis à coups de décrets. Dans ce cadre-là, il peut faire arrêter n’importe qui en l’accusant de terrorisme. Sous ce terme il désigne aussi bien les membres du PKK, l’organisation de guérilla kurde, que ce qu’il appelle les Fetocu. Il s’agit des membres ou des proches de la confrérie de Fethullah Gülen, cet imam réfugié aux États-Unis avec qui Erdogan s’est brouillé et qu’il accuse d’avoir fomenté le coup d’État. Ainsi, d’après Erdogan, la Turquie serait menacée par un grand projet terroriste émanant aussi bien de la confrérie Gülen que du mouvement nationaliste kurde. C’est contradictoire et absurde car il n’y a rien de commun entre les gülenistes et le PKK, mais c’est dans ce contexte que plus de 125 000 personnes ont été suspendues ou limogées. Elles se trouvent principalement dans les milieux de la justice, de la police, de l’enseignement ou plus généralement des fonctionnaires. Il suffit d’un très vague soupçon pour être suspendu ou même arrêté.
Du jour au lendemain, ces personnes se retrouvent sans revenu, sans aucune possibilité de recours contre la décision qui les frappe. Plus de 39 000 d’entre elles sont carrément en prison. Par ailleurs, plus de 2 600 établissements ou associations ont été fermés, dont 5 agences d’information, 16 chaînes de télévision, 24 stations de radio, 62 journaux, 19 revues et 29 maisons d’édition, et ce ne sont évidemment pas que des gülenistes.
En 2002, au début de son gouvernement, l’AKP faisait de grands discours sur la démocratie et dénonçait la dictature de la période qui avait suivi le coup d’État militaire de septembre 1980. Maintenant, cela devient pire qu’à cette époque : un rapport récent de l’ONU fait un bilan inquiétant sur la situation de l’après 15 juillet 2016, évoquant « tortures, mauvais traitements apparemment répandus […], des suspects enfermés jusqu’à 30 jours en garde à vue sans accès à l’air libre ».
Plus de 690 entreprises ont été touchées, sous l’accusation d’avoir des liens avec la confrérie Gülen. Parmi elles, une banque, des écoles, des hôpitaux, des médias, qui sont placés sous contrôle de l’État, et seront vendus à son profit. Récemment Erdogan a déclaré aux médias : « On m’accuse d’être dictateur, cela m’est égal, cela rentre par une oreille et sort par l’autre. Nous avons des listes et on va continuer à éliminer tous les terroristes. » En fait tous ceux qui critiquent le gouvernement Erdogan sont considérés comme des terroristes, parmi lesquels on compte des universitaires, des juges, des journalistes comme ceux du quotidien Cumhurriyet, un journal d’information qui est un peu l’équivalent du Monde en France. Imaginez que l’on arrête des journalistes du Monde en les accusant de terrorisme parce qu’ils auraient écrit des articles pour tenter d’expliquer ce phénomène !
Visiblement, le gouvernement AKP et Erdogan craignent une deuxième tentative de coup d’État, plus sérieuse, qui pourrait les balayer. D’où cette ambiance de terreur qu’ils font régner sur l’ensemble du pays, sans tenir compte d’aucune loi et enfreignant la Constitution elle-même. Selon celle-ci, Erdogan, en tant que président, ne devrait avoir qu’un rôle honorifique et c’est le Premier ministre qui devrait exercer le pouvoir. Les mesures de suspension, les arrestations de députés ou de maires de villes importantes, tout cela n’a aucun fondement légal. C’est d’ailleurs pourquoi la préoccupation d’Erdogan est de changer la Constitution actuelle pour établir un régime présidentiel sur mesure qui le mettrait à l’abri de toute poursuite. D’où aussi la collaboration étroite avec le parti d’extrême droite, le MHP, afin d’obtenir l’accord du Parlement pour organiser un référendum qui permettrait de changer la Constitution.
En même temps, les proches du clan Erdogan, en particulier les membres de sa propre confrérie, les Nakshibendi, mettent la main sur un grand nombre d’institutions, d’écoles, de clubs, d’entreprises qui auparavant étaient contrôlés par des proches de la confrérie Gülen. L’enjeu n’est plus seulement de garder le pouvoir, il s’agit pour le clan Erdogan de placer ses hommes à des postes lucratifs, d’occuper des places dans les entreprises et dans l’économie.
Tout cela crée un climat de crainte, en particulier parmi les intellectuels, au sein de la gauche en général, dans les milieux kurdes qui sont particulièrement visés. La police se comporte de façon totalement arbitraire. Ainsi des gens d’une revue de gauche ont été arrêtés à cause d’une homonymie avec une institution güleniste. Il leur a fallu des semaines pour faire admettre à la police et aux juges qu’il y avait erreur sur la personne. On peut être arrêté par erreur, se retrouver en prison pour rien et ensuite y rester peut-être pour des années sans aucune possibilité de faire valoir ses droits.
En ce qui concerne la situation économique, elle se dégrade aussi très vite, à cause de la crise économique mondiale, mais aussi pour des raisons liées à la situation turque. Ainsi en quelques mois la livre turque a encore perdu presque 20 % de sa valeur par rapport au dollar et à l’euro. Cela entraîne une forte inflation et une perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs et pour l’ensemble de la population. De nombreuses petites entreprises font faillite, avec les licenciements qui s’ensuivent. Il y a aussi les conséquences de la désaffection des touristes. Ainsi, dans le grand bazar d’Istanbul, haut lieu du tourisme, 1 600 boutiques sur un total de 4 000 ont mis la clef sous la porte et les autres survivent difficilement.
De son côté, la classe ouvrière n’est pas trop concernée par les arrestations, ni atteinte par le climat de terreur que fait régner le gouvernement. En revanche elle est concernée par les licenciements et par l’attitude du patronat. Les patrons turcs n’ont jamais hésité à se comporter en patrons de combat, et en ce moment ils hésitent moins que jamais. Plus que l’arbitraire du gouvernement, c’est cet arbitraire patronal, les licenciements, l’inflation et le blocage des salaires qui frappent la classe ouvrière. Face à cela il y a quand même quelques réactions, car pour les travailleurs cette situation dure et tendue n’est pas du tout une nouveauté.
Ainsi les négociations pour les conventions collectives, qui ont lieu maintenant tous les trois ans au lieu de deux, auront lieu début 2017 notamment dans la sidérurgie et la métallurgie. On commence à percevoir un mécontentement et des réactions dans certaines usines. Il y a deux semaines par exemple, les 3 000 travailleurs d’une entreprise de sidérurgie d’Eregli, dans le nord de la Turquie, ont manifesté tous ensemble à la sortie de l’usine. Ils voulaient dès maintenant avertir les patrons, et aussi les dirigeants syndicaux, qu’ils demanderont des augmentations de salaire conséquentes lors de ces négociations, afin de rattraper la perte de leur pouvoir d’achat, en même temps que de meilleures conditions de travail. Ils criaient le slogan traditionnel des manifestations ouvrières : « İşçiyiz haklıyız, kazanacağız », autrement dit « On est des ouvriers, on a raison, on va gagner ! » Vous voyez que tout le monde n’est pas démoralisé.
Dans le même esprit, il y a eu un événement positif ces dernières semaines, lorsque le gouvernement a voulu faire adopter une loi qui aurait blanchi les auteurs de viols sur mineures, à condition qu’ils épousent leurs victimes. Ce projet d’officialiser des pratiques médiévales a suscité la révolte, et de nombreuses manifestations ont eu lieu dans tout le pays, avec au premier rang les femmes. Cela a obligé le gouvernement à retirer sa loi, au moins pour l’instant, d’autant plus que le parti AKP lui-même s’est divisé sur cette question. Autrement dit, ce gouvernement Erdogan, qui joue les matamores, peut être contraint à reculer !
La situation en Turquie est donc tendue, c’est une situation de crise et de répression. Beaucoup de gens ont peur. Même le gouvernement a peur et n’a pas l’air de très bien savoir ce qu’il va faire. Un jour Erdogan déclare qu’il faut reprendre à la Grèce les îles de la mer Égée, le lendemain que Mossoul doit revenir à la Turquie, ou bien qu’il se moque complètement de tout ce que peut raconter l’Union européenne. Il a dit que Bachar al-Assad était comme un frère, avant de lui faire la guerre et peut-être maintenant de se rabibocher avec lui. Il a pu faire abattre un avion russe et ensuite aller faire ami-ami avec Poutine, et nous en passons. Alors il est bien difficile de savoir où Erdogan veut aller.
[1] De nombreux juges sont élus aux États-Unis.