La brusque aggravation de l'état de santé de Sharon, et sa possible disparition, ont évidemment modifié la situation politique israélienne à trois mois des élections législatives anticipées, prévues pour la fin du mois de mars 2006. Le nouveau parti, Kadima (En avant), que Sharon venait de créer après avoir claqué la porte du Likoud, était donné grand favori. Ce parti créé autour de sa personne survivra-t-il à sa disparition politique ou bien la scène électorale israélienne reviendra-t-elle à la situation antérieure, dominée par le parti de droite Likoud et le Parti travailliste, dit "de gauche" ? Le proche avenir le dira.
Cette question ne concerne cependant que la vie politique israélienne, et plus précisément encore les dignitaires du Likoud qui ont misé la suite de leur carrière sur le choix de suivre Sharon plutôt que de rester dans leur parti d'origine. Ou encore, ceux du Parti travailliste qui ont fait le même choix, à commencer par Shimon Pérès, ancien président du Parti travailliste lui-même.
Mais, bien au-delà de ce changement, les commentateurs s'interrogent, sincèrement ou hypocritement, sur l'avenir de ce qu'ils appellent "le processus de paix au Proche-Orient". Depuis sa décision unilatérale d'évacuer la bande de Gaza, Sharon passe pour un homme de paix. Et cette appréciation prend, depuis son accident cérébral, des proportions surréalistes quand on sait que ce personnage a incarné, durant plus d'un demi-siècle de carrière militaire et politique, le symbole de tout ce qu'endure le peuple palestinien : les répressions sanglantes, le massacre de Sabra et Chatila, la colonisation, les punitions collectives, les destructions de maisons et, au-delà, l'occupation elle-même.
On peut évidemment se dire que c'est précisément ce passé qui faisait de Sharon un des hommes, voire le seul homme capable de faire accepter par la droite israélienne un éventuel processus de paix, que la gauche de ce pays n'a jamais voulu incarner, et encore moins réaliser.
L'évacuation de Gaza à l'été 2005, a-t-elle été le point de départ d'un processus de paix que la disparition politique de Sharon est susceptible de compromettre ? L'ex-général israélien sanguinaire était-il devenu un homme politique à la recherche d'une entente avec les Palestiniens, basée sur le respect de leurs droits nationaux ? Absolument pas !
Sharon, un homme de paix par la grâce des travaillistes
Pour procéder à l'évacuation de Gaza, Sharon a dû affronter, outre les colons eux-mêmes et certaines factions de l'extrême droite religieuse, avant tout son propre parti. Sa décision de quitter le Likoud, dont il avait été pourtant un des créateurs, était simplement l'expression de sa volonté d'imposer sa politique d'une manière bonapartiste, sans s'embarrasser des criailleries de ceux de ses proches qui n'étaient pas prêts à le suivre. Kadima devait être un parti destiné à servir la politique menée par Sharon et non à lui mettre des bâtons dans les roues.
Mais cela n'aurait certainement pas suffi à lui forger une telle image si la gauche, quasiment dans son ensemble, ne l'avait pas soutenu sans la moindre critique. Ce fut d'ailleurs grâce aux voix des députés travaillistes emmenés par Pérès, leur principal dirigeant, que Sharon put dégager une majorité, lors du vote au parlement sur le retrait de Gaza, plus de la moitié des députés de son propre parti ne l'ayant pas suivi.
L'évacuation de Gaza avait été envisagée pendant des années par tous les gouvernements, surtout ceux de gauche d'ailleurs. Seulement, la gauche, parce qu'elle n'eut jamais le courage politique de cette évacuation, en vint à se ranger derrière un général de droite. Le fait n'était pas nouveau puisqu'en 1978 ce fut aussi un homme de droite, Begin, qui décida l'évacuation du Sinaï, une province égyptienne occupée par Israël depuis la guerre de 1967 et où plusieurs colonies juives s'étaient installées, essentiellement d'ailleurs durant les périodes où la gauche était au gouvernement.
Il y eut bien sûr des différences entre l'évacuation du Sinaï et celle de la bande de Gaza. Le Sinaï est un désert, au contraire de la bande de Gaza très peuplée. Et surtout, dans le cas du Sinaï l'évacuation s'était faite au terme d'un accord qui normalisait les relations entre Israël et l'Egypte. Concernant la bande de Gaza, Sharon s'est au contraire refusé à ouvrir des pourparlers avec les autorités palestiniennes. C'est donc de façon unilatérale qu'il décida de se retirer, avec comme avantage pour le gouvernement israélien de n'être engagé par aucun accord qui, s'il avait été conclu, n'aurait de surcroît pas pu se limiter au seul avenir de Gaza.
Dans toutes ces situations, les travaillistes, eux, n'ont fait que suivre sans avoir à décider de quoi que ce soit mais sans état d'âme et sans critique, se contentant d'imprimer une marque prétendument de gauche à une politique qui ne l'était pas. Et ainsi, au prétexte que Sharon aurait partiellement abandonné le rêve du Grand Israël, qui pour ses tenants ne peut se réaliser que par l'annexion pure et simple de toute la Cisjordanie, de Gaza et d'une partie de la Jordanie, bien des représentants de la gauche israélienne, à commencer par Pérès, lui ont façonné l'image d'un homme évoluant vers des positions de compromis à l'égard des Palestiniens.
Ce suivisme s'est poursuivi lorsque Sharon, pour ne plus avoir à s'embarrasser d'une opposition au sein du Likoud, a quitté ce parti qu'il avait lui-même fondé en 1973 et créé le sien propre, Kadima. Il fut aussitôt soutenu dans cette démarche par Pérès qui, de son côté, venait d'être battu à une élection qui aurait dû (du moins pouvait-il l'espérer) le confirmer à la présidence du Parti travailliste. À la question : "Pourquoi vous êtes-vous associé au nouveau parti de Sharon ?", Pérès, interrogé par une chaîne de la télévision française, a répondu : "Parce qu'il rejoint des positions que j'ai toujours défendues". Des propos qui entrent fort bien dans la logique du soutien que Pérès apporte depuis déjà longtemps à Sharon.
Mais un tel choix a aussi été fait par le représentant d'un mouvement se situant à la gauche du Parti travailliste, le Yahad-Meretz, une sorte de gauche de la gauche institutionnelle. Yossi Beilin, son principal représentant, a en effet déclaré : "La décision de Sharon (de quitter le Likoud et de créer un nouveau parti) est une grande victoire pour les tenants d'un partage de la terre, une réelle opportunité pour une coalition menée par le camp de la paix et incluant des anciens membres du Likoud qui ont compris que durant 38 ans ils ont trompé la nation et se sont trompés eux-mêmes". Pour justifier l'alignement derrière Sharon, Beilin sort le même argument que Pérès : ce ne sont pas eux mais Sharon qui aurait changé en rejoignant les positions de la gauche.
Et voilà comment Sharon, un homme de droite, voire d'extrême droite au passé entaché d'épisodes sanglants, a pu, grâce aux soutiens de quelques-uns, être présenté comme un homme dont la politique serait acceptable pour l'avenir des peuples du Proche-Orient, aussi bien israélien que palestinien.
Un passé qui ne peut s'oublier et qui éclaire encore le présent
Sans rappeler tous les sombres épisodes qui parsèment le curriculum vitae de Sharon, on ne peut oublier les exactions de l'unité militaire 101, un commando clandestin dont les actions meurtrières au-delà des frontières avaient pour but d'empêcher les réfugiés de la guerre de 1948 de regagner leurs villages. À la tête de cette unité, Sharon terrorisa, dans les années cinquante, des Palestiniens, les contraignant à quitter leurs terres et leurs demeures. Au début des années soixante-dix, Sharon qui commandait alors le secteur sud, s'en prit violemment aux fedayins de la bande de Gaza, occupée par Israël depuis 1967. Il établit une liste de plus de cent Palestiniens, les rechercha puis les liquida les uns après les autres. À la même époque, il expulsa manu militari et sans ordre de sa hiérarchie des milliers de Bédouins de la région de Rafah, toujours dans le sud de la bande de Gaza. Leurs habitations furent rasées, leurs points d'eau bouchés.
Rendu à la vie civile, Sharon se consacra à la colonisation. Bien que dans cette tâche il fût précédé par d'autres, y compris des travaillistes, il apparut vite comme un de ses principaux artisans. Alors ministre de l'Agriculture et président du comité ministériel en charge des colonies de peuplement jusqu'en 1981, son zèle à prôner le vol des terres palestiniennes était si patent qu'il fut surnommé "l'Empereur des colonies" par ceux-là mêmes dont il voulait le soutien pour asseoir ses ambitions gouvernementales.
Puis ce fut l'invasion du Liban en 1982, voulue et menée par un Sharon alors ministre de la Défense du gouvernement Begin. Le siège de Beyrouth, de juin à août 1982, coûta la vie à plus de 15000 civils, libanais et palestiniens. À la mi-septembre, deux semaines après le départ des combattants de l'OLP de la capitale libanaise, les Phalangistes, une milice d'extrême droite alliée à l'État israélien, entra dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila. Alors que les soldats israéliens stationnaient autour des deux camps, alors même que le QG de l'armée israélienne surplombait ce qui allait être la scène du massacre, celui-ci se déroula quarante huit heures durant sans que quiconque intervienne. Selon des sources israéliennes, il y eut près de mille tués parmi les Palestiniens du camp, pour la plupart des femmes, des enfants et des vieillards; et plus de 3000 selon des sources palestiniennes. L'émotion fut telle qu'une commission d'enquête israélienne dut être constituée. Elle conclut que Sharon portait une responsabilité personnelle dans le massacre et demanda que lui soient retirées ses responsabilités gouvernementales. Quant au médiateur américain, Philip Habib, il déclara : "Sharon est un assassin, animé par la haine contre les Palestiniens. J'ai donné à Arafat des garanties que les Palestiniens (restant à Beyrouth) ne soient pas touchés mais Sharon ne les a pas honorées. Une promesse de cet homme ne vaut rien".
Puis, à la fin de l'année 2000 ce fut la venue de Sharon sur l'Esplanade des mosquées à Jérusalem, entourée de centaines de policiers. Une véritable provocation. L'humiliation ressentie par les Palestiniens fut telle que la révolte qui s'en suivit marqua le début de la seconde Intifada. Se présentant alors comme le seul recours possible face à un prétendu terrorisme qu'il avait lui-même déclenché, Sharon se présenta en 2001 aux élections législatives qu'il remporta.
Commença alors une guerre atroce qui vit l'armée israélienne intervenir comme jamais auparavant, n'hésitant plus à employer son armement lourd : chars, aviation, hélicoptères de combat... Des villes palestiniennes furent bombardées. À l'aide de missiles n'épargnant pas la population civile, les Israéliens s'en prirent à des combattants de la résistance. Les terres palestiniennes, en particulier celles de Cisjordanie, furent zébrées par des obstacles de toutes sortes, barrières, murs, fossés, check-points, les isolant les unes des autres et rendant très difficiles, voire impossibles, tout déplacement de la population. À Jérusalem, comme dans bien d'autres localités, des murs coupent les quartiers arabes, séparant les parents de leurs enfants, les malades de leurs médecins, les élèves de leurs écoles... Jour après jour, les colonies juives se sont agrandies et de nouvelles surgissent par absorption des terres palestiniennes. À Bil'in par exemple, où depuis des semaines des Palestiniens tentent de résister, la colonie juive de Madi'in s'agrandit de façon rampante, couvrant des collines qui, il y a encore quelques semaines, étaient plantées d'oliviers. Des champs ont été saccagés ou volés pour que soient construites des routes de contournement réservées aux seuls Israéliens ou que soit érigé ce Mur de séparation qui devrait servir de nouvelle frontière entre Israël et ce qui restera de Palestine. De la centaine "d'avant-postes" que Sharon était prétendument obligé d'évacuer pour respecter les exigences de la Feuille de route (un vague plan de paix concocté par les États-Unis, l'Europe, la Russie et les Nations-Unies et devant aboutir à la création d'un État palestinien en 2005), pas un n'a été démantelé. Pour l'heure, seul un débat bruyant et sans suite se poursuit pour savoir si l'avant-poste d'Amona doit être ou non enlevé par la force.
Ces réalités, celles du passé comme celles du présent, sont suffisamment terribles pour qu'aucune illusion ne puisse exister quant aux intentions de Sharon. Et ce n'est certainement pas l'évacuation de la bande de Gaza qui peut contredire le côté abject de sa politique. Si Sharon a évacué Gaza, c'est tout simplement parce qu'il devenait difficile à l'armée israélienne d'y maintenir sa présence et encore plus difficile aux finances de l'État d'entretenir bien plus de soldats qu'il n'y avait de colons à protéger. Pour que son choix soit sans équivoque, Sharon fit donner ses proches et autres conseillers avant même que ne débute l'évacuation de la bande de Gaza. Ils expliquèrent qu'il ne s'agirait là que d'une concession mineure, que le principal concernait la Cisjordanie dont il n'était pas question d'évacuer les colonies. Et de fait, que ce soit à Jérusalem-Est ou dans les autres grandes zones d'implantations, la colonisation s'est inexorablement poursuivie avec son cortège d'exactions et d'humiliations.
Sans fard, un des principaux conseillers de Sharon, Dov Weisglass, expliqua que l'évacuation de la bande de Gaza entrait dans un plan plus général de blocage de tout processus politique, de "congélation" des rapports entre Israéliens et Palestiniens. Et Weisglass précisait : "Le processus politique, c'est la création d'un État palestinien, avec tous les risques que cela comporterait, en matière de sécurité. Le processus politique c'est l'évacuation de certaines colonies, voire de toutes, c'est le retour des réfugiés, c'est le partage de Jérusalem. Et tout ça, maintenant, c'est dans le congélateur".
À ceux qui pensent que la politique de Sharon se serait infléchie, le programme de son nouveau parti, Kadima, montre l'inverse car il reste au contraire dans le droit fil de toutes les politiques menées jusqu'à présent. Il prévoit la création d'un "État palestinien démilitarisé, ne se livrant pas au terrorisme", rengaine reprise depuis des décennies maintenant. Parmi les principaux points énoncés figure le maintien du contrôle d'Israël sur l'ensemble de Jérusalem, y compris sur sa partie orientale conquise et annexée en 1967, où vivent plus de 200000 Palestiniens, ainsi que sur les grands blocs de colonies en Cisjordanie. Kadima définit Israël comme "le foyer national du peuple juif" où "la majorité juive de la population doit être maintenue", une façon de refuser tout droit au retour aux Palestiniens chassés de leurs terres. Enfin, concernant d'éventuels démantèlements de petites colonies israéliennes en Cisjordanie, il est prudemment dit : "Lorsque nous arriverons à la phase finale de la Feuille de route durant laquelle nous fixerons les frontières de l'État d'Israël, on peut supposer qu'une partie des colonies ne pourront pas rester sur place". Mais "Pour le moment, il n'y a aucun plan pour démanteler des colonies supplémentaires".
Même si les dirigeants de Kadima savent pertinemment qu'il devront probablement encore évacuer un certain nombre de colonies, celles qui sont isolées et situées à l'est du Mur où vivent plusieurs milliers de colons sur les 254000 installés en Cisjordanie (hors Jérusalem), ils se sont bien gardés de l'envisager concrètement. Et si aujourd'hui, ils ne jurent plus que par la Feuille de route, c'est une Feuille de route où figure dorénavant en exergue une récente déclaration de Bush selon laquelle, compte tenu des modifications démographiques (produites par la colonisation), il n'est pas question pour Israël de devoir revenir aux frontières d'avant 1967.
C'est donc avec cet homme que la gauche a gouverné jusqu'à présent. La politique proposée par Sharon lui convenait et elle n'en a pas d'autre à proposer. Dans de telles conditions, rien d'étonnant à ce que Pérès, l'ex-président du Parti travailliste, ait fait allégeance au vieux militaire d'extrême droite, et non l'inverse.
L'agitation dans les milieux politiques israéliens ne signifie pas encore un changement de politique
Durant les premiers jours qui ont suivi l'accident cérébral d'Ariel Sharon, les commentateurs se sont fait peur en dramatisant les conséquences de sa disparition probable, au moins de la scène politique. Le moment de la recherche de sensationnel passé, ils sont maintenant de plus en plus nombreux à dire que les institutions israéliennes fonctionnent normalement et que le fameux "processus de paix" n'encourt pas de risques majeurs. Il n'encourt en effet aucun risque pour la simple raison qu'il n'y a pas eu de processus de paix engagé et, cela va sans dire, encore moins de processus de paix susceptible de satisfaire les aspirations du peuple palestinien.
L'évacuation de Gaza n'a en rien été une réponse à ces aspirations, mais une nécessité militaire. Au lieu de surveiller, en partie du dedans, cette étroite bande de terre où s'entassent quelque 1,4 million de Palestiniens, l'armée israélienne les surveille dorénavant du dehors. Le seul aspect positif de l'évacuation des colons a seulement été de mettre fin à cette provocation permanente qu'était l'existence de ces micro-territoires riches et peu peuplés au milieu d'un entassement de pauvres. Pour le reste, Gaza reste ce camp de concentration qu'il a toujours été, avec tout au plus quelques possibilités de sortie vers l'Egypte. Mais, même pour rejoindre la partie cisjordanienne de la Palestine, à une heure de route, les habitants de Gaza sont complètement à la merci de l'armée israélienne qui peut ouvrir ou fermer les portes comme elle l'entend. Et ce territoire surpeuplé, sans activité économique normale, sans travail, sans revenu, restera un chaudron bouillonnant sous la loi des différentes bandes armées qui cherchent à en prendre le contrôle.
Sharon a certes consenti à parler "d'État palestinien", comme George Bush, le président de l'État protecteur d'Israël. Mais ce qu'ils entendent par "État", c'est ce territoire composé de deux sous-territoires complètement séparés, Gaza et la Cisjordanie, cette dernière étant morcelée en une multitude de poches plus ou moins séparées les unes des autres par les colonies israéliennes qui la parsèment. On peut désigner cette entité consentie aux Palestiniens du nom "d'État" à peu près au même titre que l'on pouvait appeler "États" les bantoustans morcelés, sans droit, où l'Afrique du sud ségrégationniste des dernières années de son existenceavait parqué une partie de la population noire.
Ce dont l'évacuation de Gaza est la phase initiale, ce n'est donc pas d'un processus de paix, mais de la séparation. Le Mur que Sharon a commencé à ériger est tout un symbole, en même temps qu'une réalité matérielle qui rend la vie des Palestiniens impossible. Mais a été tout aussi symbolique la décision d'évacuer Gaza sans aucune concertation avec l'Autorité palestinienne, par décision unilatérale d'Israël. C'était là une façon d'affirmer à la face du monde que le gouvernement d'Israël entend tracer les frontières là où il veut, là où il pense que cela résout le maximum de ses problèmes, en foulant aux pieds les intérêts les plus élémentaires de la population palestinienne.
Par un cynique renversement de la situation, Sharon a eu l'art de faire passer Israël, la puissance occupante, pour la victime du terrorisme palestinien. Mais cette manipulation ne marche que parce que les grandes puissances la font leur : les États-Unis en premier lieu, mais aussi de façon hypocrite la diplomatie française. Il est par exemple significatif que tous reprochent aux dirigeants de l'Autorité palestinienne de ne pas remettre de l'ordre dans la bande de Gaza, de tolérer l'anarchie armée qui y règne. Mais la raison fondamentale qu'a eu Sharon d'évacuer Gaza, c'est précisément qu'il pensait que même l'appareil militaire israélien, avec son organisation et sa puissance de feu, ne pouvait y maintenir l'ordre. Alors, demander à Mahmoud Abbas que, sans moyens, il mette au pas le Hamas et la myriade de bandes armées politiques crapuleuses, est d'un cynisme aveuglant !
Aussi, si l'évacuation de Gaza n'eut sans doute pas été possible sans la personnalité de Sharon et sans l'aura qui l'entoure aux yeux des milieux de droite et d'extrême droite du pays, le reste de sa politique peut être parfaitement poursuivi, même en l'absence de cette sorte de "pouvoir bonapartiste" qu'il s'est arrogé dans un cadre constitutionnel inchangé.
Un éventuel changement notable ne dépendrait pas de la survie politique de Sharon mais de l'évolution éventuelle des rapports de force. La situation actuelle au Moyen-Orient est préjudiciable au peuple palestinien en premier lieu, qui est non seulement opprimé politiquement mais maintenu dans l'extrême pauvreté, mais aussi au peuple israélien qui continuera à subir les attentats terroristes. Les deux peuples subissent la politique de leurs dirigeants respectifs. Le peuple d'Israël paie déjà et paiera de plus en plus la politique sioniste des gouvernements qui se succèdent dans ce pays depuis 1948, qui n'ont jamais eu une politique destinée à gagner la confiance du peuple palestinien et qui n'en ont même jamais voulu. Quant au peuple palestinien, il n'a certes rien à gagner non plus au terrorisme individuel qui n'est pas en train de le libérer mais qui, tout en lui imposant sans cesse de nouvelles souffrances, conduit dans une impasse.
Nous ne savons pas si la minorité qui existe en Israël de femmes et d'hommes sensibles à la misère croissante des Israéliens et à celle, permanente, des Palestiniens, et qui cherchent la voie d'une entente véritable entre les deux peuples sur une base d'égalité, représente un espoir pour le futur. Ce qui est certain, en revanche, c'est que cet espoir n'a jamais été incarné par Ariel Sharon, pas plus que par ses équivalents qui ont dirigé la gauche.
11 janvier 2006