France - La situation intérieure au lendemain du référendum

Drucken
Sept-Oct 2000

Des deux principaux partenaires de la cohabitation, Chirac en tant que président de la République, et Jospin en tant que Premier ministre, il est bien difficile de savoir lequel sortira dans la meilleure situation de ce mois de septembre qui a vu la situation politique française se modifier profondément.

L'été avait pourtant commencé sous le signe de la plus harmonieuse cohabitation entre les deux têtes de l'exécutif (telle qu'elle existe depuis 1997), à propos du vieux projet de ramener la durée présidentielle de sept à cinq ans. L'ancien président de la République Giscard d'Estaing, qui s'était bien gardé d'oeuvrer en ce sens quand il était à l'Elysée, fut celui qui ressortit le quinquennat de la naphtaline, où il était enfoui depuis une tentative avortée de Pompidou de l'instaurer, il y a près de trente ans. Jospin, qui avait inscrit cette réforme dans son programme de candidat à l'élection présidentielle de 1995 (comme l'avait fait avant lui Mitterrand... qui oublia cette promesse comme bien d'autres durant ses deux septennats), ne pouvait que répondre favorablement à cette initiative. Chirac, lui, se déclarait encore fermement opposé au quinquennat en juillet 1999. Mais les sondages semblaient indiquer que la grande majorité des électeurs était favorable à cette mesure, et pour cette raison, ou pour d'autres (car depuis la dissolution manquée de 1997, on ne peut qu'être prudent quand on veut essayer de comprendre les raisons qui dictent les décisions du président de la République), il se rallia au quinquennat. Et sans doute pour avoir l'occasion d'utiliser ses prérogatives de chef de l'Etat, il décida en outre d'organiser un référendum (qui n'était nullement une obligation constitutionnelle) sur cette question.

Pour les communistes révolutionnaires que nous sommes, il n'était évidemment pas question de participer à un tel référendum. Car en faisant voter sur un point de détail de la Constitution, ce référendum faisait approuver de nouveau la Constitution dans son ensemble. Que les électeurs aient opté pour que le mandat présidentiel soit de cinq ans ou pour qu'il reste de sept ans, ils votaient pour cette constitution gaulliste de 1958, y compris pour toutes les mesures anti-démocratiques qu'elle a ajoutées à la précédente constitution, qui était pourtant déjà un instrument au service des classes possédantes.

Participer au vote, cela revenait à approuver implicitement le pouvoir discrétionnaire du président de la République de dissoudre la Chambre des députés, l'article 16 qui lui permet de se donner les pleins pouvoirs, l'article 49.3 qui permet au chef du gouvernement de recourir à un vote bloqué, annihilant la possibilité pour les députés, y compris de sa propre majorité, de modifier ou d'amender un texte gouvernemental.

Participer au vote, cela revenait à approuver implicitement l'existence du Sénat, cette assemblée quasi inamovible, élue par les seuls notables, dont le seul rôle est de faire contrepoids à la Chambre des députés au cas, pourtant bien rare, où celle-ci voterait des mesures qui déplairaient à la bourgeoisie. Cela revenait à approuver l'existence du Conseil constitutionnel, que personne n'élit, mais qui peut annuler n'importe quelle décision du Parlement sous prétexte qu'elle n'est pas constitutionnelle.

Mais les communistes révolutionnaires sont contre cette Constitution pour une raison plus fondamentale, qui vaut aussi pour toutes celles qui l'ont précédée. Car toutes les constitutions que la France a connues depuis 1791 ont affirmé le droit de propriété parmi les valeurs fondamentales, "imprescriptibles", de la République.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de la propriété d'un travailleur sur son pavillon de banlieue ou sur sa voiture, ni de celle d'une petit paysan sur sa terre, de celle d'un petit artisan sur ses instruments de production ou d'un petit commerçant sur sa boutique ! Car cette propriété-là, celle des petites gens, celle acquise par leur travail ou par le travail des leurs, est en permanence remise en cause par celle des grands groupes financiers et industriels.

La constitution ne protège nullement la propriété des petits paysans, des petits artisans, des boutiquiers, contre les grandes banques, contre les chaînes commerciales, contre les intermédiaires capitalistes, contre les entreprises industrielles, fournisseurs ou clients, qui ont le pouvoir de leur imposer des conditions draconiennes qui menacent, chaque jour, leur petite propriété.

Le pouvoir que la constitution garantit, c'est celui des puissants ! C'est le droit d'une minorité d'accumuler des richesses considérables, de contrôler, directement et indirectement, toute l'économie. D'user et d'abuser de la propriété, fut-ce au détriment de la collectivité, de fermer une entreprise quand ses propriétaires y trouvent un avantage, de polluer l'air et les mers pour faire un peu plus de bénéfices, de peser sur la société comme sur la politique grâce à leur fortune.

Et si les travailleurs ne sont sans doute pas, aujourd'hui, en situation de contester cet ordre, ils n'ont aucune raison de l'approuver. Voilà pourquoi les révolutionnaires ne pouvaient qu'être partisans de l'abstention dans ce référendum.

Devant les résultats des sondages qui annonçaient un taux élevé d'abstentions, les porte-parole de la droite, et ceux du Parti Socialiste, n'ont évidemment pas manqué d'évoquer les pays où le droit de vote n'existe pas, pour inciter les électeurs à se rendre aux urnes. Et c'est vrai que le droit de vote fut une conquête, non pas qu'il permette à la population de décider de son avenir (tous les rouages de la constitution sont au contraire calculés pour mettre le pouvoir réel à l'abri des fluctuations électorales), mais parce qu'il lui permet au moins de s'exprimer. Mais si on peut effectivement dire ce que l'on pense en votant pour un programme, on ne peut absolument pas le faire en répondant à une question pipée.

Il serait évidemment illusoire de croire que les 70 % d'abstentions qui ont été enregistrées le 24 septembre représentent l'influence électorale de ceux (le PCF, Lutte ouvrière, la LCR) qui, avec des argumentations d'ailleurs diverses, avaient pris position pour l'abstention. La raison principale de ce record est évidemment que la grande majorité des électeurs ne voyaient pas pourquoi ils devraient répondre à une question qui leur paraissait à juste titre sans intérêt, alors qu'ils n'étaient pas consultés sur des problèmes qui les concernent bien plus immédiatement. Arlette Laguiller, au nom de Lutte ouvrière, avait d'ailleurs dit au cours de la campagne pour ce référendum que si Chirac et Jospin voulaient battre le record d'abstentions de la consultation sur la Nouvelle-Calédonie, il avait choisi la bonne question. Les faits ne l'ont pas démentie.

Mais cette abstention massive n'était pas le produit de l'indifférence à la chose politique, ou de "l'incivisme" pour reprendre l'expression de ceux qui considèrent que le "civisme" consiste à venir déposer un bulletin de vote dans une urne quand on en a reçu l'ordre. Cette abstention massive avait une signification politique.

D'autant que la situation sociale a brusquement changé au cours du mois de septembre. La hausse incessante, depuis plusieurs mois, du prix des carburants, a débouché sur une vague de contestation. Ce n'est pas la classe ouvrière qui a été à l'origine de ces mouvements. Ceux qui se sont exprimés au cours de ces semaines, marins-pêcheurs, ambulanciers, taxis et surtout patrons routiers, ont au contraire en commun qu'il y a parmi eux des petits et des gros, des petits patrons travaillant eux-mêmes, avec deux ou trois chauffeurs salariés, et de grosses sociétés. Et, comme dans le cas des agriculteurs, les plus gros se servent des difficultés des petits pour justifier leurs propres exigences vis-à-vis de l'Etat. Et les gros savent aussi se servir de la mobilisation des petits pour peser sur les décisions du gouvernement, quand ils ne poussent pas le cynisme jusqu'à envoyer sur les barrages leurs propres salariés !

Mais l'ensemble de la population, y compris les salariés, s'est sentie solidaire de ceux qui bloquaient les raffineries et les dépôts de carburants, parce que tous ceux qui doivent se déplacer en voiture pour travailler, ou qui se chauffent au fioul, trouvaient leur mouvement justifié.

Pendant cette période, tous les sondages de popularité montraient que celle de Chirac et de Jospin était en chute libre. Le plan de "diminution d'impôt" présenté par Fabius n'a pas suffi à inverser cette tendance. Les travailleurs n'ont pas été dupes de ces mesures qui, sous prétexte "d'égalité", leur accordaient pour l'avenir quelques miettes, alors qu'elles promettaient de vrais cadeaux aux plus riches. La diminution annoncée de l'impôt sur le bénéfice des sociétés était de ce point de vue un symbole. Quant aux bourgeois, principaux bénéficiaires de ces mesures, ils ont toujours, dans ce genre de situation, surtout par rapport à un gouvernement qui se dit de gauche, la même attitude : ils encaissent, sans dire merci, et en déclarant que ce n'est pas suffisant !

Le gouvernement a choisi de céder, au moins partiellement, devant les patrons routiers. Le ministre communiste des Transports, Gayssot, n'a pas attendu des semaines pour recevoir leurs représentants, ni même pour leur concéder rapidement des mesures qui représentent une aide de 17.500 F par camion.

Il se peut que cette somme suffise à peine aux petits patrons transporteurs pour survivre. Mais les grandes sociétés qui possèdent plusieurs centaines de camions empocheront des sommes considérables, sommes dont bien entendu les salariés de ces entreprises ne verront pas la couleur. Les entreprises de transport ajouteront les aides de l'Etat à leurs bénéfices et continueront à imposer à leurs chauffeurs des salaires lamentables et des horaires de travail insupportables.

Dans cette situation, il aurait été important que la classe ouvrière fasse entendre sa propre voix. Le Parti Communiste a bien appelé à des manifestations pour une baisse du prix du carburant. Mais en proposant ces manifestations, Robert Hue voulait surtout dédouaner son parti du discrédit qui pèse sur Jospin, Fabius et Aubry. Et il ne s'est guère donné les moyens de mobiliser largement, ne serait-ce que ses propres militants. Les ministres et les députés du Parti communiste n'ont d'ailleurs pas l'intention d'abandonner le soutien sans faille qu'ils accordent depuis trois ans au gouvernement Jospin et à sa politique anti-populaire. Et si Robert Hue tape aujourd'hui sur la table, les ministres communistes, eux, restent autour.

Et, pourtant, la direction du Parti Communiste a fait, une fois de plus et bien malgré elle, la démonstration que sa présence au gouvernement ne lui sert à rien, ne lui permet d'exercer aucune pression sur Jospin, mais au contraire le cautionne. Et aussi la démonstration que la pression, quand on veut la faire, il faut la faire en dehors du gouvernement, dans la rue !

L'autre composante de la "gauche plurielle" qui a des velléités de contestation quand Jospin lui fait avaler des couleuvres écologiques, le parti des Verts, a adopté à propos de la hausse des carburants une position qui montre très bien de qui ces gens-là sont, socialement, solidaires.

Nous sommes évidemment d'accord avec les écologistes pour dire que, depuis des années, on privilégie trop le transport routier au détriment du chemin de fer. Mais quand on entend les écologistes oser dire qu'il faut augmenter le prix du carburant pour favoriser les transports en commun, on ne peut que constater qu'ils se comportent comme des ennemis des classes laborieuses, qu'ils vivent sur une autre planète que ces milliers de travailleurs qui n'ont le choix que de prendre leur voiture, quand ils en ont une, ou de s'entasser dans des transports publics bondés, d'attendre, sous la pluie ou la neige, un autobus de banlieue.

Mais bien plus que les résultats vite oubliés d'un référendum qui n'intéressait personne (et pas même les grands partis politiques dont la campagne a été quasi inexistante), ce qui risque de peser lourd sur la situation politique dans les semaines qui viennent, c'est l'émergence de nouvelles "affaires", d'une part de cet enregistrement vidéo d'un ancien trésorier du RPR, aujourd'hui décédé, dans lequel il met en cause personnellement Chirac dans une affaire d'attribution de marchés publics, d'autre part du fait que l'ancien ministre des Finances de Jospin, Strauss-Kahn, qui était en possession de l'original de cet enregistrement, l'avait dissimulé.

Nul ne peut prévoir quels seront les épisodes suivants de ce feuilleton, comme nul ne peut prévoir, quand on fouille la vase d'un étang, quels débris en décomposition émergeront à la surface. Et bien malin qui pourrait dire aujourd'hui quelles seront demain les conséquences politiques de tout cela.

Mais une chose est cependant certaine : dans cette société où la corruption sous toutes ses formes est le complément naturel de l'exploitation, le programme communiste n'a rien perdu de son actualité.