Irlande du Nord - Le "processus de paix" suit son cours, mais les gangs armés continuent à menacer la classe ouvrière

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Octobre 2002

La signature de l'"accord de paix" de 1998, entre les diverses factions politiques d'Irlande du Nord sous la houlette des gouvernements de Londres et de Dublin, n'a pas fait taire les armes, ni dissout les bandes armées. Loin s'en faut.

Sans doute l'IRA (Armée républicaine irlandaise) a-t-elle cessé toute activité terroriste, pour permettre aux dirigeants de Sinn Fein, son aile politique, de prendre leur place dans les institutions régionales créées par l'"accord de paix". Et c'était bien là le but des dirigeants britanniques. Mais cela n'a pas pour autant fait disparaître l'armée britannique des villes de la région, pas plus que ses "check-points" ni ses hélicoptères qui continuent à réveiller les habitants des quartiers pauvres en pleine nuit, sous prétexte de "maintien de la paix". Surtout, l'évolution du "processus de paix" n'a fait qu'exacerber l'activité souvent sanglante des groupes paramilitaires loyalistes qui, face à la montée électorale des nationalistes irlandais de Sinn Fein et leur intégration croissante dans les institutions de l'Etat, s'efforcent de se maintenir à flot en tentant d'exacerber les divisions entre protestants et catholiques.

Rappelons que ces groupes paramilitaires loyalistes sont apparus à différents stades de l'histoire de l'Irlande du Nord pour y défendre par les armes le plus souvent au nom des "valeurs protestantes" le maintien de son rattachement à la couronne britannique face aux nationalistes qui luttaient pour une Irlande unie et indépendante de la Grande-Bretagne. Suivant les périodes, et la politique de l'impérialisme britannique, ces groupes paramilitaires ont bénéficié d'un appui plus ou moins important, aussi bien de la bourgeoisie protestante d'Irlande du Nord que de l'Etat britannique, auxquels ils servaient d'exécuteurs de basses oeuvres, en éliminant des militants nationalistes et surtout, en semant la terreur dans la population catholique par des attentats aussi aveugles qu'horribles.

Dans certaines périodes, ces groupes paramilitaires jouèrent un rôle de premier plan. Ce fut le cas, par exemple, à l'époque de la partition de l'Irlande, en 1919-1921, où leur intervention servit à écraser la puissante vague ouvrière qui secoua la région industrielle de Belfast au lendemain de la guerre, en terrorisant sa fraction catholique ; ou encore dans les années soixante-dix, où leurs gangs armés imposèrent à la classe ouvrière protestante de servir de masse de manoeuvre aux menées réactionnaires de politiciens tels que Ian Paisley, qui faisaient (et dans le cas de Paisley, font encore aujourd'hui) leur fonds de commerce d'une bigoterie protestante hystérique et d'une haine virulente envers la minorité catholique.

Mais en dehors de telles périodes, les autorités britanniques et la bourgeoisie d'Irlande du Nord se sont contentées de maintenir en réserve ces groupes paramilitaires loyalistes, sans leur laisser d'espace politique pour se développer ni de place au sein des institutions du pouvoir. Au point qu'il est arrivé que les dirigeants de ces groupes en viennent à utiliser les seules méthodes qu'ils connaissaient terroristes et mafieuses pour se tailler malgré tout une place au soleil, y compris en défiant les autorités britanniques dont ils étaient habituellement les auxiliaires.

C'est précisément à un tel phénomène que l'on assiste depuis deux ans environ, au cours desquels l'essentiel des attentats et exécutions revendiqués en Irlande du Nord, l'ont été par ces groupes paramilitaires loyalistes et où les tensions entre quartiers catholiques et protestants se sont aggravées du fait de leur activité.

C'est ainsi qu'en mai 2001, l'UDA-UFF (Association de défense de l'Ulster - Combattants de l'Ulster pour la liberté) déclencha une offensive brutale contre une l'école primaire catholique de Holy Cross, en bordure du quartier catholique d'Ardoyne au nord de Belfast, dont les élèves étaient accusées d'aller à l'école en empruntant "abusivement" une rue "appartenant" à un quartier protestant voisin. Pour l'UDA-UFF, il s'agissait de prendre pied dans ce quartier protestant en donnant corps à l'idée que ses habitants auraient été "menacés" par l'"expansionnisme" d'Ardoyne. Et pendant un an, les provocations violentes n'ont cessé de succéder aux batailles rangées autour de l'école en question.

Cette année, à peu près à la même époque, c'est le Short Strand, petite enclave catholique isolée en bordure du quartier presque exclusivement protestant de Belfast-Est, qui est devenu la cible d'attaques répétées de la part d'un autre groupe paramilitaire loyaliste, l'UVF (Force des volontaires d'Ulster).

Cette fois, les attaquants n'ont même pas cherché à se réfugier, comme l'avait fait l'UDA-UFF à Ardoyne, derrière des mensonges sur le prétendu "expansionnisme" des habitants du Short Strand. Ils ont clairement affiché leur détermination de chasser les quelque 3000 habitants de cette enclave catholique.

Tout a commencé par quelques attentats à la "bombe-tuyau" (faite d'un morceau de tuyau scellé, bourré de liquide inflammable et doté d'une amorce explosive), l'arme favorite des paramilitaires loyalistes, contre des maisons du Short Strand attentats qui heureusement ne firent que des dégâts limités et pas de victimes. Puis chaque jour, dès la tombée du soleil, des groupes d'attaquants postés sur les toits des maisons du quartier entourant le Short Strand se mirent à bombarder les habitants avec tous les projectiles qui leur tombaient sous la main. Les commerces, cabinets médicaux, pharmacies, bureaux de poste, etc., du voisinage furent interdits aux habitants du Short Strand et des gangs de gros bras s'assurèrent du respect de cette consigne. Puis, au début de juin, l'UVF mobilisa un fort contingent de nervis armés qui envahit le Short Strand, détruisant tout ce qu'il pouvait sur son passage, et mit le feu à un certain nombre d'habitations. Cette offensive fit de nombreux blessés, dans les deux camps, dont un certain nombre par balles, et plusieurs familles catholiques qui n'avaient plus de toit, durent fuir le Short Strand faute d'avoir pu trouver refuge dans les maisons déjà surpeuplées de leurs voisins. Quelques jours plus tard, on assista à une descente sans précédent sur le campus du Belfast Institute of Higher Education un établissement d'enseignement technique mixte proche du Short Strand au cours duquel un gang masqué et armé de l'UVF tenta vainement de trouver des étudiants habitant le Short Strand pour leur "régler leur compte".

Face à ces événements la réaction des autorités ne fut que trop prévisible. Le NIPS (Service de police d'Irlande du Nord la "nouvelle" police issue de l'accord de 1997, qui est censée mettre fin au recrutement exclusivement protestant de l'ancienne police) fut envoyé sur les lieux en même temps qu'un contingent de l'armée britannique, sans que les uns ou les autres fassent grand-chose pour stopper les attaquants. En revanche, dès que les politiciens unionistes (c'est-à-dire partisans de l'union avec la Grande-Bretagne) accusèrent l'IRA d'avoir rompu son cessez-le-feu parce que des assaillants loyalistes avaient été blessés par balle dans les affrontements, les maisons du quartier Short Strand furent soumises à des perquisitions systématiques sous prétexte de chercher des armes illégales. Comme si les agresseurs avaient été les habitants du Short Strand et non l'UVF !

Finalement, l'Exécutif régional d'Irlande du Nord eut recours aux bonnes vieilles méthodes de l'armée britannique il fit construire de nouveaux "murs de la paix", ces murs de béton qui peuvent atteindre six mètres de haut, surmontés de barbelés, qui quadrillent bien des quartiers pauvres de Belfast, transformant de nombreuses rues en impasses, sous prétexte de séparer les zones protestantes des zones catholiques. Le Short Strand se retrouva pratiquement entièrement encerclé de tels murs, privant ses habitants de tout accès aux seuls commerces proches, dans le quartier protestant voisin. Cela a-t-il mis fin aux exactions des attaquants loyalistes, comme le promettait en juin le ministre de la Sécurité de l'Exécutif, Jane Kennedy ? Bien au contraire. Le fait d'avoir réussi à isoler complètement le Short Strand du reste de Belfast-Est est considéré comme une victoire par l'UVF qui n'a aucun intention de s'arrêter en si bon chemin. Et depuis lors, les exactions des loyalistes ont continué de plus belle.

Le retour de la guerre des gangs

On peut se demander pourquoi, du jour au lendemain, l'UVF a choisi pour cible une enclave catholique dont l'existence remonte à bien des décennies.

En fait, ce n'est pas la première fois. Tout au long des années soixante-dix/quatre-vingt, le Short Strand a été l'objet d'attaques systématiques de la part des paramilitaires loyalistes, comme l'ont été tous les quartiers ouvriers catholiques de Belfast, mais plus encore que la plupart d'entre eux.

Cependant, depuis le début du processus de négociation, cette partie de Belfast avait connu une relative accalmie. L'UVF, qui était le groupe paramilitaire le mieux implanté dans Belfast-Est, cherchait à consolider son emprise pour tirer parti du nouveau contexte créé par la perspective d'un règlement politique. Son aile politique, le PUP (Parti progressiste unioniste), s'efforçait de se trouver un créneau aux côtés des deux partis unionistes qui traditionnellement représentent la bourgeoisie protestante. Dans l'espoir de s'attirer le soutien de l'électorat ouvrier de ces partis, le PUP se présentait lui-même comme un "parti de la classe ouvrière" et mettait en avant des dirigeants comme Billy Hutchinson, un ancien prisonnier loyaliste connu pour son activité syndicaliste passée au chantier naval Harland and Wolff. En même temps, pour gagner des appuis dans les milieux de la petite bourgeoisie libérale, le PUP multipliait les gestes symboliques contre la bigoterie protestante. C'est ainsi, par exemple, qu'il condamna la décision du conseil municipal de Castlereagh, dans la banlieue de Belfast, d'arborer le drapeau de l'ordre maçonnique protestant d'Orange sur tous les édifices publics, comme une "provocation contre les catholiques et les nationalistes locaux". Le PUP se paya même le luxe d'apparaître comme le champion du droit des femmes à l'avortement, face aux réticences ou à l'opposition ouverte de tous les autres partis (Sinn Fein compris), en faisant campagne pour l'extension à l'Irlande du Nord de la législation sur l'avortement en vigueur en Grande-Bretagne depuis les années soixante.

Dans un premier temps au moins, l'orientation du PUP porta ses fruits. Elle lui permit de se constituer un électorat, modeste sans doute mais pas insignifiant, grâce auquel il put faire élire des représentants au Forum d'Irlande du Nord en 1996 et remporter sept sièges aux élections municipales de 1997. Et il parvint même à avoir deux élus à la nouvelle Assemblée d'Irlande du Nord, en 1998, malgré les restrictions introduites par Tony Blair pour en éliminer les petites formations politiques.

Contrairement au PUP, son principal rival, l'UDP (Parti démocratique d'Ulster aile politique de l'UDA-UFF), ne réussit même pas à se maintenir à flot. L'UDP s'en était tenu strictement à la tradition loyaliste en se présentant comme la "voix du loyalisme" et cela ne lui réussit guère. Malgré un score comparable à celui du PUP en 1996, l'UDP fut écarté de l'Assemblée d'Irlande du Nord lorsque ses voix s'écroulèrent en 1998. Sans doute n'y avait-il guère de place pour une autre "voix du loyalisme" tant qu'Ian Paisley et son parti déjà bien enraciné dans les institutions continuaient à incarner les préjugés anti-catholiques les plus virulents.

En fait, le cadre institutionnel issu de l'"accord de paix" avait été conçu pour écarter les petits partis en garantissant le monopole des nouvelles institutions aux seuls partis établis (les deux partis unionistes, le parti catholique traditionnel SDLP et le petit parti de la bourgeoisie libérale Alliance) et, bien sûr, à Sinn Fein. Et les partis unionistes firent ce qu'il fallait pour interdire à leurs rivaux de seconde zone, non seulement l'UDP mais aussi le PUP, l'accès aux postes de pouvoir et autres sinécures offerts à la classe politique par le nouveau cadre institutionnel.

Avec le temps, les groupes paramilitaires loyalistes durent se rendre à l'évidence : le bulletin de vote ne leur permettrait pas à lui seul de s'assurer une part du "gâteau" offert par le "processus de paix".

Cette prise de conscience fut à l'origine de violentes luttes de factions qui déchirèrent l'UDA-UFF en 2000-2001 et se traduisirent, en particulier, par de violents et sanglants affrontements dans les rues de son plus ancien bastion à Belfast, le quartier protestant de Shankill. Mais ce fut finalement la déroute de l'UDP lors des élections municipales de 2001, où il ne réussit à conserver que deux élus, qui trancha entre les deux factions : les partisans de "la force physique", autrement dit du retour aux méthodes paramilitaires, prirent le contrôle de l'UDA-UFF et l'UDP fut purement et simplement dissout.

Quant au PUP, bien que moins affaibli que son rival, il n'en perdit pas moins trois des sept sièges de conseillers municipaux qu'il avait gagnés en 1997, pour ne conserver que les quatre sièges qu'il occupait dans l'agglomération de Belfast.

La suite était dès lors prévisible. Les deux groupes rivaux en revinrent à leur guerre de gangs traditionnelle pour le contrôle des quartiers ouvriers protestants de Belfast. L'offensive de l'UDA-UFF à Ardoyne l'an dernier visait avant tout à contester, par la surenchère anti-catholique, l'hégémonie de l'UVF dans une partie de la ville qui est le fief personnel de Billy Hutchinson (qui la représente aussi bien au conseil municipal de Belfast qu'à l'Assemblée d'Irlande du Nord). Et tout indique que l'offensive actuelle de l'UVF contre le Short Strand vise à couper l'herbe sous le pied d'une probable surenchère similaire de la part de l'UDA-UFF dans le fief de David Ervine, le président du PUP et son deuxième représentant à l'Assemblée d'Irlande du Nord.

L'imperturbable "processus de paix"

Dans ces conditions, il faut s'attendre à une escalade de la guerre des gangs à laquelle se livrent les deux groupes paramilitaires loyalistes pour défendre leur "territoire" respectif, en particulier à Belfast. Et cela représente une menace bien réelle pour la classe ouvrière d'Irlande du Nord.

C'est une menace pour les habitants des quartiers pauvres catholiques, qui risquent d'être pris pour cible chaque fois que l'un de ces groupes voudra se livrer à une démonstration de force, comme c'est le cas dans le Short Strand à l'heure actuelle. D'ailleurs il faut rappeler que, dans les années soixante-dix en particulier, ce fut cette surenchère entre groupes loyalistes, voire entre factions rivales au sein de ces groupes, qui fut à l'origine de quelques-unes des pires atrocités commises contre la minorité catholique. Le gang des "Bouchers de Shankill", par exemple, qui ensanglanta Belfast-Ouest en torturant ses victimes catholiques à l'aide d'instruments de boucherie, n'était pas seulement un gang de dangereux psychopathes, mais avant tout une faction de l'UDA entrée en dissidence.

Mais cette guerre des gangs entre factions loyalistes constitue également une grave menace pour les habitants des quartiers ouvriers protestants. Car c'est pour le contrôle de ces quartiers que ces factions se battent et, vis-à-vis de leurs habitants, elles ne se contentent généralement pas de propagande pour asseoir leur hégémonie. Leur principale arme reste ce qu'elle a toujours été, la terreur, y compris contre la classe ouvrière protestante dont elles prétendent défendre les intérêts. Combien d'ouvriers protestants ont payé chèrement, quelquefois de leur vie, le fait de s'être opposés publiquement à la dictature des gangs loyalistes ? Combien de familles mixtes ont été chassées de leur maison, dans les ghettos protestants où les loyalistes entendent faire la loi, par des attentats répétés à la "bombe-tuyau", voire par la mort d'un membre de la famille exécuté par un commando loyaliste ? Et puis, pour les nervis loyalistes, les infrastructures où se côtoient protestants et catholiques entreprises, centres sportifs, résidences étudiantes, établissements d'enseignement sont aujourd'hui des cibles tout aussi "légitimes" que les quartiers "nationalistes". Ce n'est pas par hasard si l'UDA-UFF a assassiné à peu près autant de catholiques que de protestants depuis la signature de l'"accord de paix".

Face à la montée de la guerre des gangs loyalistes, nombre de commentateurs ont spéculé gravement ces derniers temps sur le fait de savoir si le "processus de paix" allait y survivre. Mais poser la question, revient en fait à nier hypocritement la véritable nature du "processus de paix" orchestré par l'Etat britannique.

Car l'objectif de ce processus n'a jamais été de protéger les quartiers pauvres d'Irlande du Nord des exactions des nervis de tous ordres, pas plus qu'il n'a visé à combler le profond fossé creusé au fil des siècles entre les populations catholiques et protestantes pour consolider l'occupation de la province par la Grande-Bretagne. Son objectif a été avant tout de débarrasser l'Etat britannique du coût politique et financier d'une guerre civile larvée qui, de surcroît, privait le capital britannique et ses partenaires en Irlande du Nord des profits qu'ils auraient pu tirer du marché intérieur de la province et surtout de l'important réservoir de main-d'oeuvre à bon marché qu'elle pouvait constituer.

Pendant longtemps les tentatives des gouvernements britanniques pour parvenir à un règlement politique de cette guerre civile larvée tournèrent court, en partie du fait du refus de la bourgeoisie protestante de partager le pouvoir avec les forces politiques catholiques, et a fortiori nationalistes, mais surtout du fait de la veulerie des politiciens britanniques, terrorisés à l'idée qu'on puisse les accuser d'avoir cédé du terrain à l'IRA. Or après l'explosion des quartiers pauvres catholiques à la fin des années soixante, l'armée britannique s'était montrée incapable de contenir la résistance de ces quartiers où seuls les républicains de l'IRA et de Sinn Fein avaient suffisamment de poids pour imposer un règlement politique conforme aux intérêts de l'Etat anglais. C'était une situation sans issue pour l'Etat britannique, ou qui l'aurait été si, pour finir, les dirigeants républicains n'avaient pas choisi de faire suffisamment de concessions unilatérales pour, à la fois, calmer les frayeurs politiciennes des dirigeants britanniques et les amener à se décider à tordre le bras aux politiciens unionistes, et encore avec moult précautions.

D'emblée, le point de départ du "processus de paix" fut qu'il s'agissait d'un "partenariat" entre deux "blocs" l'un protestant ou "unioniste", l'autre catholique ou "nationaliste" avec le gouvernement anglais comme meneur de jeu. Dans ce partenariat, les républicains se chargeaient, avec l'assistance du SDLP et de l'Eglise catholique, d'imposer le futur règlement aux ghettos catholiques, tandis que les partis unionistes, avec l'aide de leurs auxiliaires des groupes paramilitaires loyalistes, faisaient de même pour les ghettos protestants. La population d'Irlande du Nord fut ainsi explicitement divisée en deux entités politico-religieuses, ayant par construction des intérêts distincts, pour ne pas dire opposés, et cette division fut dûment institutionnalisée dans l'"accord de paix" de 1998. C'est ainsi, par exemple, que cet accord prévoyait explicitement que le vote d'un membre de l'Assemblée qui refuserait de s'affilier à l'un des deux blocs ne compterait pas dans les décisions importantes car pour de telles décisions, il exigeait une majorité dans chacun des deux blocs.

Quant à la façon dont les deux blocs étaient supposés imposer les termes du règlement politique dans les "territoires" qu'ils s'étaient attribués, c'était évidemment en recourant aux méthodes qui leur avaient permis de contrôler ces mêmes territoires dans le passé l'embrigadement forcé, le terrorisme, voire le gangstérisme pur et simple. Quoi que puissent en dire aujourd'hui les ministres britanniques et les politiciens unionistes, les passages à tabac et autres "kneecapping" ("punition" consistant à briser les rotules de la victime choisie) pratiqués aujourd'hui par les républicains contre de petits délinquants sur leurs territoires (quelquefois aussi contre des opposants trop bruyants, mais cela les politiciens n'en parlent pas) étaient tout autant implicites dans l'"accord de paix" que les méthodes terroristes utilisées par les gangs loyalistes. Car quels que soient leurs différends ou rivalités avec les partis unionistes, les gangs loyalistes n'en restent pas moins, sur le fond, des auxiliaires de ces partis, en alimentant la peur et l'atmosphère d'encerclement qui permettent aux partis unionistes de maintenir leur hégémonie dans la population protestante.

Les exactions loyalistes sont en fait l'une des composantes du "processus de paix" à la sauce du gouvernement britannique.

En fait, la seule chose qui pourrait vraiment remettre en cause le "processus de paix" serait que les dirigeants républicains choisissent de cesser de le cautionner et s'en retirent. Mais pourquoi prendraient-ils une telle décision alors qu'aucun concurrent sérieux ne menace leur hégémonie dans les ghettos catholiques et qu'ils occupent désormais la première place dans l'électorat catholique ? Car, pour les nationalistes de Sinn Fein, dont le but est avant tout de se tailler une place dans l'appareil d'Etat, il n'existe aujourd'hui aucune politique de rechange présentant des avantages qui puissent se comparer à ceux que leur procure le "processus de paix", avec leurs deux portefeuilles de ministres dans l'Exécutif régional, leurs 108 sièges de conseillers municipaux et de nombreux postes dirigeants dans les municipalités les plus importantes (dont celui de maire de Belfast), sans parler de quantité de sinécures dans des institutions para-étatiques et des budgets importants à administrer financés par l'Europe, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sous couvert de "réhabilitation communautaire" au profit de la minorité catholique. Pourquoi donc les leaders républicains renonceraient-ils à une telle manne ? En tout cas, certainement pas par solidarité avec les habitants du Short Strand et autres victimes des exactions loyalistes. Car le passé paramilitaire et terroriste des leaders républicains est là pour rappeler à quel point ils se soucient peu des intérêts de cette population des ghettos catholiques dont ils ont fait couler le sang pour pouvoir se hisser dans les allées du pouvoir.

Les exactions du profit capitaliste

Non seulement le "processus de paix" a créé un cadre politique qui perpétue la division de la population pauvre d'Irlande du Nord, mais il engendre un ferment social qui alimente cette division. Les gangs loyalistes n'arriveraient pas à trouver de recrues, en particulier dans la jeunesse ouvrière, comme ils le font aujourd'hui, sans la dégradation des conditions de vie dans les quartiers ouvriers protestants. Or, le "processus de paix" n'a rien fait pour stopper cette dégradation, il l'a au contraire accélérée.

Dans les mois qui précédèrent l'"accord de paix" de 1998, l'un des principaux arguments utilisés par Tony Blair pour appuyer l'opération auprès de l'opinion, fut de promettre ce qu'il appela un "dividende de la paix". Bien sûr ce que Blair entendait par là dépendait beaucoup de l'auditoire auquel il s'adressait. Aux travailleurs, il laissait miroiter l'espoir du retour au plein emploi et d'investissements mirifiques en provenance des Etats-Unis. Au patronat, en revanche, il tenait un autre langage, comme il le fit, par exemple, cette année-là dans une conférence intitulée "Investir dans la paix", où il annonça que l'Irlande du Nord donnerait bientôt naissance à une sorte de Singapour européen en d'autres termes, une économie de sous-traitance au service des multinationales occidentales, grâce à une main-d'oeuvre à bon marché.

Quatre ans après, on en est toujours à attendre les fameux investissements étrangers. En revanche, on peut voir prendre forme l'économie de main-d'oeuvre à bon marché prophétisée par Blair devant les milieux d'affaires. Quant au "dividende de la paix", il a peut-être été touché par un petit nombre de capitalistes locaux et de riches actionnaires, mais pour une bonne partie de la classe ouvrière d'Irlande du Nord, il a pris la forme d'un déficit net.

D'après l'Economic Development Forum, un organisme para-étatique réunissant des représentants de Londres et de Dublin, de l'Exécutif d'Irlande du Nord, du patronat et des syndicats, afin d'attirer les investissements étrangers, entre 1996 et 2001, la production manufacturière d'Irlande du Nord a augmenté en valeur de 25 % tandis que ses exportations manufacturières augmentaient de 109 % et cela dans une période qui a vu la fermeture d'une grande partie du textile et de l'agro-alimentaire, qui sont les industries traditionnelles de la province. En réalité, la quasi-totalité de cette augmentation est due à deux secteurs la construction aéronautique et la fabrication de câbles en fibre optique. Et encore faut-il ajouter que la contribution de l'industrie aéronautique provient pratiquement d'une seule usine, l'usine Shorts de Belfast, tandis que la production de fibre optique s'est pratiquement totalement arrêtée à la fin 2001 du fait de la crise de la téléphonie.

En fait, si l'on exclut ces deux secteurs, la production manufacturière de la province a diminué en valeur et en volume au cours de cette période, et a continué à diminuer en 2002. Quant à la fraction de la main-d'oeuvre manufacturière chassée des industries traditionnelles par les fermetures d'usines, elle n'a pas retrouvé d'emplois équivalents, loin s'en faut. Car si les industries traditionnelles étaient des industries de main-d'oeuvre, relativement peu mécanisées, les rares "nouvelles industries" qui se sont implantées (et dont certaines ont déjà disparu) ont créé peu d'emplois, et essentiellement des emplois hautement qualifiés. Qui plus est, même chez Shorts, la plus grosse usine privée de la province et de loin la plus profitable, 2000 emplois ont été supprimés depuis le début de l'année, malgré un carnet de commandes de jets d'affaires privés bourré à craquer.

Officiellement, le nombre de chômeurs a diminué de manière importante. Mais c'est avant tout le résultat de l'extension à l'Irlande du Nord de la réduction très sévère de la couverture chômage imposée en Grande-Bretagne dès le milieu des années quatre-vingt-dix (les gouvernements d'alors avaient bien trop peur d'une explosion sociale en Irlande du Nord pour se risquer à toucher aux allocations chômage). Comme en Grande-Bretagne à l'époque, un grand nombre de chômeurs de longue durée ont été basculés sur d'autres types d'allocations sociales (invalidité, en particulier), disparaissant ainsi des comptes du chômage, tandis que bien d'autres ont été contraints de prendre des emplois précaires, souvent à peine quelques heures par semaine, ce qui suffisait à les priver du statut de chômeur.

La proportion des emplois à temps partiel a augmenté brutalement avec la multiplication d'hypermarchés qui a fait de chaînes comme Tesco et Dunnes les plus gros employeurs de la région. On a prétendu que le boom de la construction, généré par la hausse brutale de l'immobilier et les subventions de l'Europe à la construction d'immeubles de bureaux, avait créé de nombreux emplois. Mais dans la réalité il n'a fait que permettre à tout un secteur de cow-boys opérant jusque-là "au noir" de faire légaliser les activités souvent douteuses de leurs entreprises de sorte que les "nouveaux emplois" qui sont apparus n'avaient rien de nouveau, et n'étaient d'ailleurs souvent pas de vrais emplois, chaque travailleur étant employé à la tâche, comme travailleur indépendant, et non avec la garantie d'un salaire.

La vérité sur le prétendu "succès économique" dont se targuent les autorités d'Irlande du Nord apparaît clairement au travers de quelques statistiques officielles. Tout d'abord le classement de l'Irlande du Nord en terme de PNB par habitant, parmi toutes les régions de l'Union européenne, est resté inchangé depuis le début du "processus de paix" : elle se situe toujours dans le tiers le plus mal loti, tout juste devant la Sardaigne. Ensuite, le revenu moyen par habitant en Irlande du Nord a baissé au cours de la même période par rapport à celui de la Grande-Bretagne de 89,5 % du revenu moyen anglais en 1996 à 84,5 % en 2001. Et encore cette baisse relative ne reflète-t-elle pas celle, bien plus importante, des revenus ouvriers, car la dégradation du salaire ouvrier par rapport à celui du reste de la population a été encore plus rapide en Irlande du Nord qu'en Grande-Bretagne.

Un rapport universitaire commandité par le Premier ministre d'Irlande du Nord, le politicien unioniste David Trimble, donne une idée des conséquences sociales de cette dégradation. Il montre qu'un tiers de la population d'Irlande du Nord vit en état de "pauvreté aggravée", terme par lequel les sociologues désignent un foyer dont le revenu est inférieur ou égal à 30 % du revenu moyen. Et sur l'ensemble de la population qui est dans cette situation, population essentiellement concentrée dans les quartiers ouvriers des deux grandes villes de la province, Belfast et Derry, 26 % travaillent à temps plein et 12 % à temps partiel.

C'est donc bien une économie de bas salaire qui est en train de se développer en Irlande du Nord. D'après certaines estimations, les coûts salariaux y seraient déjà inférieurs de 40 % à ceux de la Grande-Bretagne, du seul fait des bas salaires puisque les législations sociales et fiscales sont désormais identiques. C'est cela que signifie le "dividende de la paix" pour le capital, mais pour la classe ouvrière il ne signifie qu'une aggravation de la pauvreté.

Blair, cynisme et hypocrisie

Comme en Grande-Bretagne, Blair a déclaré à maintes reprises la "guerre à la pauvreté" en Irlande du Nord. Et de multiples plans arborant des intitulés plus prétentieux les uns que les autres ont fait leur apparition, prétendument pour venir en aide à la fraction la plus pauvre de la population.

Le plus ambitieux de ces plans a été récemment dénoncé avec une rare violence par le NICVA, un organisme regroupant l'ensemble des organisations caritatives, laïques et religieuses, opérant en Irlande du Nord. Ce plan, intitulé "Viser les besoins sociaux" ("Targeting Social Needs", ou TSN), est un exemple typique de l'hypocrisie doublée de cynisme des gouvernements britanniques lorsqu'il s'agit de lutter contre la dégradation sociale en Irlande du Nord.

En fait, ce plan est une vieille histoire qui remonte à 1991, lorsqu'il fut lancé par le premier gouvernement conservateur de John Major. Sa "beauté" (du point de vue des ministres d'alors) tenait à ce qu'il était, selon les propos mêmes de son initiateur, "un programme qui ne comporte pas de dépenses". Il s'agissait en fait d'une série de consignes que devaient suivre tous les départements ministériels afin de rediriger, autant que possible, les ressources existantes vers les catégories sociales parmi lesquelles des besoins de financement urgents avaient été identifiés. Surtout, il comportait un complexe système d'évaluation des mesures prises qui permettait, en théorie en tout cas, de distribuer quelques mauvais points à ceux qui ne suivaient pas les consignes. Mais bien sûr, comme ce programme ne s'accompagnait d'aucun financement supplémentaire (même pas pour remplir la montagne de paperasses exigées pour satisfaire au système d'évaluation) et que les budgets sociaux étaient d'une façon générale déjà très serrés, il ne pouvait donner de résultats. C'était l'exemple typique du gadget bureaucratique destiné à permettre aux gouvernements de prétendre qu'ils faisaient quelque chose.

Rien ne changea pour autant avec le retour des travaillistes au pouvoir en 1997. L'"accord de paix" signé l'année suivante comportait bien la promesse d'"une initiative visant de façon nouvelle et plus efficace les besoins sociaux". Et Blair fit ce qu'il avait fait dans tant d'autres domaines durant cette période : il ressortit le bon vieux TSN du magasin des accessoires et lui offrit une deuxième inauguration à grands flon-flons sous le nom de New TSN le Nouveau TSN, ou l'absence de changement dans la continuité. En fait, le seul ajout qui fut fait au vieux projet des conservateurs consista à adjoindre à son système d'évaluation des tests permettant de mesurer dans quelle mesure la répartition des ressources entre catholiques et protestants était équilibrée mais, bien sûr, il n'était toujours pas question d'augmenter ces ressources, d'autant que, comme le reste des budgets sociaux, la politique de Blair était de les geler en valeur nominale, et donc de les réduire en valeur réelle.

L'année suivante, comme il fallait bien démontrer que les objectifs annoncés avaient été atteints et que l'on continuait à aller de l'avant, conformément au culte blairien des tests de performance dans tous les domaines, la machine à noircir des rapports du gouvernement travailliste produisit un rapport de 268 pages proposant toute une série de domaines "nouveaux" dans lesquelles le New TSN pouvait être mis en oeuvre. Sauf que, comme le souligne le rapport du NICVA, ces propositions n'étaient pour l'essentiel que du vent et celles qui ne l'étaient pas avaient déjà été mises en oeuvre depuis longtemps.

L'une de ces "proposition nouvelles", citées par le NICVA, donne la mesure de l'hypocrisie des ministres de Londres. Elle consistait à prélever 5 % sur le budget de toutes les écoles et à redistribuer cet argent aux plus démunies d'entre elles. Il s'agissait donc ni plus ni moins que de réduire le budget déjà notoirement insuffisant de toutes les écoles pour le redistribuer, sans même avoir évalué les besoins réels des écoles les plus pauvres ni si cette mesure les aiderait réellement.

De telles mesures aussi symboliques que bureaucratiques, qui prétendent "combler le fossé entre les communautés" sans que cela coûte rien, en prenant sur les ressources insuffisantes de Pierre sous prétexte que celles de Paul sont encore plus maigres, sont toujours stériles. Mais lorsqu'en plus elles sont présentées comme un moyen de "mettre sur un pied d'égalité" les quartiers protestants et catholiques, elles peuvent très vite devenir des bombes à retardement qui alimentent le ressentiment mutuel de part et d'autre. Les moins pauvres ont le sentiment que les plus pauvres les volent, tandis que les plus pauvres ne voient aucun changement dans leur sort et accusent les premiers d'en être responsables. Et l'histoire de l'Irlande du Nord fait que souvent (bien que pas toujours, il est vrai), il se trouve que les moins pauvres sont protestants et les plus pauvres catholiques. Et c'est ainsi que ces prétendues "politiques inter-communautaires" deviennent de puissants facteurs alimentant les tensions dans les quartiers pauvres, en particulier dans un contexte où la politique du gouvernement travailliste se traduit par une dégradation générale des services et infrastructures publics.

C'est d'ailleurs sur le même type de bureaucratisme symbolique que s'appuya l'UDA-UFF pour mobiliser une fraction de la population protestante autour de l'affaire de l'école Holy Cross à Ardoyne en l'occurrence un plan proposé par les services de logements visant à reloger au moindre coût des familles catholiques d'Ardoyne qui attendaient des logements depuis des années, en les installant dans des préfabriqués construits sur des parkings désaffectés du quartier protestant voisin. Il n'en fallut pas plus pour répandre parmi les familles protestantes de ce quartier, dont les logements tombent souvent en ruine faute de crédits pour les réparer, l'idée qu'il n'y avait de crédits que pour les catholiques d'Ardoyne et qu'en plus ces crédits allaient servir à les chasser de leur propre quartier. L'UDA-UFF était évidemment pour quelque chose dans cette interprétation des faits. Mais le fait est qu'elle lui permit d'engendrer assez de colère aveugle parmi les habitants, pour mobiliser chaque jour pendant des mois plusieurs dizaines, voire parfois plusieurs centaines d'individus, pour s'en prendre à des gamines dont le seul "crime" était d'aller à l'école en empruntant la rue qui séparait les deux quartiers.

En fait, la véritable cause de la crise du logement qui sévit de plus en plus durement à Belfast n'a bien sûr rien à voir avec une quelconque "conspiration catholique" visant à vider les quartiers protestants de leurs habitants, ni l'inverse d'ailleurs. Elle tient avant tout à la politique du logement de Blair (politique mise en oeuvre avec zèle par l'Exécutif d'Irlande du Nord) qui consiste d'un côté à pousser à la hausse des prix immobiliers afin d'augmenter artificiellement le pouvoir d'achat de la petite bourgeoisie propriétaire aisée, et de l'autre, à geler tous les programmes de construction et de réparation de logements sociaux afin de réduire les dépenses publiques dans ce domaine. Et bien sûr, les premiers à faire les frais d'une telle politique, sont ceux qui, catholiques ou protestants, sont trop pauvres pour acheter ou même pour payer les loyers exorbitants du privé et dépendent de ce fait de la construction sociale.

Sans doute reste-t-il, dans les catégories les plus pauvres de la population, une certaine inégalité entre protestants et catholiques et une certaine discrimination à l'encontre de ces derniers. C'est ainsi, par exemple, que 35 % de la population catholique vivent en situation de pauvreté aggravée, contre 21 % dans la population protestante. Et le taux de chômage reste plus élevé (bien que la différence tende à diminuer) dans les ghettos catholiques. Mais cela fait bien longtemps que ces différences sont devenues marginales comparées à la distance qui sépare les ghettos protestants comme catholiques des banlieues résidentielles de Belfast, qui sont de plus en plus riches et où se côtoient des familles bourgeoises ou petite-bourgeoises des deux bords des gens qui se soucient bien plus de leurs profits ou de leur carrière que de symboles confessionnels d'un autre âge et qui, eux, bénéficient vraiment du "processus de paix".

Les véritables, les seuls ennemis pour tous les ghettos pauvres de la province, ce sont ces capitalistes, de Grande-Bretagne, d'Irlande du Nord ou du Sud et d'ailleurs, qui s'abattent comme des rapaces sur la province ; ce sont les politiciens qui pour défendre les intérêts du capital, sont en train de pousser l'ensemble de la classe ouvrière d'Irlande du Nord dans un fossé de pauvreté et, on peut le craindre, de haine, en se servant du "processus de paix" comme paravent et de leurs hypocrites "politiques inter-communautaires" comme bonne conscience. Et ce ne sont pas seulement des hypocrites qui n'ont que mépris pour les pauvres, ce sont également des criminels que rien n'arrête lorsqu'il s'agit d'augmenter l'exploitation des travailleurs pas même le risque de voir deux secteurs de la population pauvre s'entre-déchirer.

Heureusement, la situation en Irlande du Nord n'en est pas arrivée à ce stade, pas encore en tout cas. Mais l'évolution actuelle de la situation, en particulier la montée de la guerre des gangs des paramilitaires loyalistes, constitue un avertissement. Bien des travailleurs, aussi bien catholiques que protestants, en ont plus qu'assez de passer leur vie derrière les "murs de la paix" et de subir la démagogie haineuse des bigots de tout poil et autres loyalistes, tout comme ils en ont plus qu'assez des attaques du patronat, des politiciens et du gouvernement Blair contre leurs conditions d'existence. Le malheur, c'est qu'il n'existe aujourd'hui en Irlande du Nord aucune force politique vers laquelle ils puissent se tourner, qui exprime à la fois leur mécontentement, leur écoeurement voire leur colère, tout en étant prête à représenter leurs intérêts de classe. Ce qu'il faut espérer, néanmoins, c'est qu'un tel parti finisse par émerger, des rangs de la jeunesse en particulier, un parti qui soit déterminé à combattre toute tentative de faire ressurgir les fantômes du passé pour diviser les rangs de la classe ouvrière, l'emprisonner et la paralyser, et qui se tourne au contraire vers le futur de l'humanité, c'est-à-dire vers la transformation sociale de la société.